home

up

Entretien

avec Agnès Petit

Agnès Petit, née au pays des cigales il y a trente ans.
Chante sous le soleil et malgré la bise
dans les choeurs de l'Opéra de Toulon.

 

Cet entretien est paru dans
Filigranes n°26
"Folies plurielles" Juin 1993

 

Entonner

quelques airs

 

 

Les balbutiements

Filigranes : Quand  as-tu commencé à chanter ?

Agnès Petit : En professionnel, depuis deux ans. En amateur, depuis cinq ans. J'avais toujours eu envie de chanter mais je ne l'avais pas fait car je ne me l'autorisais pas. Une fois que j'ai découvert le chant je ne me suis plus arrêtée.

Filigranes : Et le choix professionnel ?

Agnès Petit : Le choix professionnel est un hasard et une chance. Mes débuts dans les choeurs furent un palliatif aux périodes de chômage. Ma formation initiale ne débouchait sur aucun emploi, en revanche le chant me permettait de travailler. N'ayant rien à perdre j'ai saisi l'occasion d'un premier contrat et ensuite ils se sont enchaînés. Maintenant je crois que je ne pourrais plus vivre sans chanter.

Filigranes : Et écrire ?

Agnès Petit : Vers douze ans. J'ai eu un désir et un besoin d'écriture poétique.

Filigranes : À partir du moment où tu as commencé, as-tu écrit régulièrement ?

Agnès Petit : Oui. C'est très semblable au chant. Ce sont deux façons de vivre et de respirer : c'est une respiration par rapport à un monde environnant qui m'était difficile à vivre pour diverses raisons. C'était le souffle, le moyen de reprendre mon souffle.

Entre la passion et la technique

Agnès Petit : Pour le chant, l'impulsion a été le fait de gens qui m'ont dit : "tu peux faire quelque chose avec ta voix, vas-y" et je leur ai fait confiance. C'est capital. D'autant qu'au départ c'était une passion pure sans notion de rentabilité et ce n'est pas du tout facile de rendre professionnelle une passion. Je craignais de lui faire perdre de son intensité, de sa valeur car parfois dans le cadre professionnel on se contente du minimum, et la routine peut finir par tuer toute flamme. Par ailleurs, le choix professionnel peut aussi amener plus loin et il faut arriver à franchir le pas et à se dire que c'est l'opportunité et la possibilité d'aller plus loin dans ce que l'on fait.

Filigranes : N'y a-t-il pas de lassitude  dans le chant ?

Agnès Petit : Si cela devenait une lassitude j'arrêterais les choeurs professionnels. Je fais aussi une séparation entre mon métier qui m'oblige à chanter certaines choses qui ne me font pas toujours plaisir et ce que je chante pour me faire plaisir.

Filigranes : Dans le chant, il y a beaucoup de répétitions. Quelle place donnes-tu à l'aspect technique ?

Agnès Petit : J'ai mis au moins quatre ans pour placer ma voix, c'est plus ou moins long. Il y a des gens qui ont la voix naturellement placée, ce qui n'était pas mon cas et je l'ai fait volontiers. Travailler la technique n'a jamais été un problème pour moi. En revanche, en écriture, c'est vraiment l'aspect personnel et intime qui est le plus important. Au moment où j'ai commencé à chanter, j'ai compris que l'écriture devrait avoir elle aussi une dimension extérieure  d'ouverture sur les autres. Mais depuis que je chante, j'écris moins. Et pourtant il y a toujours le désir, toujours cette envie d'écrire mais il y a un blocage qui est peut-être compensé par le chant. Lorsque je ne chantais pas et que je n'avais pas la possibilité de m'exprimer il fallait absolument que j'écrive. C'était vital, maintenant le chant prend la place.

Respirer

Filigranes : Au départ il y avait l'inspiration et ensuite tu es passée à l'expiration...

Agnès Petit : Oui, le chant est basé là:dessus. J'ai mis du temps pour comprendre comment cela se passait. J'ai tellement cherché que je n'ai plus rien compris, et me suis bloquée. Je me suis même fait mal aux cordes vocales et tout est redevenu normal lorsque j'ai retrouvé le geste vocal instinctif. J'ai eu besoin de ce passage de théorisation et d'intellectualisation qui a provoqué un certain déséquilibre, mais m'a permis une plus grande maîtrise des sensations physiques qui font le chant. Au départ je n'avais pas compris que le chant était une histoire de respiration.

Filigranes : Et l'écriture, c'est aussi une histoire de respiration ?

Agnès Petit : Oui, c'est une respiration dans ce sens que, lorsque j'écris, j'expire. Il y a un souffle de vie. J'ai réalisé que j'écrivais souvent après des moments d'angoisse où justement tu ne peux plus respirer, où tu respires mal, l'écriture devient alors un souffle de vie et même un souffle de l'esprit. Il y a une dimension spirituelle dans les deux qui est finalement la base de tout pour moi. C'est pour cela que mon métier est difficile car dans les choeurs cette dimension disparaît. Même si je n'écris pas beaucoup, je reste toujours en contact avec l'écriture des autres, la poésie surtout, ce qui me permet alors de respirer profondément.

Filigranes : Au-delà des similitudes n'y a-t-il pas une différence importante entre le chant et l'écriture dans la mesure où le chant est interprétation ?

Agnès Petit : Dans le chant ce n'est pas ton texte, ce ne sont pas tes mots, certes. Mais quand tu chantes - moins dans le cadre des choeurs - quand tu travailles des morceaux pour toi, tu "réécris" les textes. Il y a un travail de "décorticage" des mots pour les placer dans la voix pour être comprise des auditeurs. On se réapproprie les textes, et on finit par les vivre et les réécrire en les chantant. La plus grande différence que je vois entre écriture et chant c'est que l'écriture est plus introvertie - c'est vraiment toi avec l'absence de parole, ou plutôt de son - et le chant me permet d'exprimer ces sons, ces mots.

Le chant,
entre silence et parole

Agnès Petit : Dans le chant, il y a la parole qui est chantée, dans l'écriture il y a la parole-silence. Et je crois que le chant a été un lien entre le silence et la parole dite, entre l'écriture et la parole parlée. J'ai un rapport difficile au langage et le chant m'a permis de faire ce lien. Le chant et l'écriture me permettent un recul qui n'existe pas dans la parole. Tu te donnes entièrement mais avec la possibilité de distancier. La seule difficulté est de lâcher la chose qu'on fait, son "enfant", de se dire "maintenant il vit tout seul, il n'a plus besoin de moi". Je le ressens surtout en ce qui concerne l'écriture : mes textes imprimés me font peur.   Filigranes : Pourtant dans le chant tu te donnes plus visiblement car tu es là avec ton corps. Ce serait plus "normal" d'avoir peur de chanter que d'écrire, non ?

Agnès Petit : Dans ma façon d'écrire, j'ai toujours un rapport physique : c'est l'expérience physique, morale ou plus généralement l'expérience que j'ai pu vivre qui passe dans mon écriture. Je n'ai pas un rapport purement intellectuel à l'écriture : elle est liée au vécu. Je ne suis pas encore capable d'imaginer abstraitement. J'ai réalisé que pendant très longtemps j'ai lu la poésie sans comprendre rationnellement. C'était vraiment la musicalité des mots et des phrases qui primaient. La recherche du sens venait ensuite. Même encore maintenant selon les poètes, j'ai cette approche. Dans l'écriture, les mots sont les miens, alors que, dans le chant, ce sont les mots des autres: c'est lié à l'éphémère et aux traces qui restent. Le chant, c'est l'instant. Tandis que l'écriture reste, tu peux revenir et critiquer. L'aspect du jugement est alors beaucoup plus présent. Dans le chant, il y a un risque physique, et dans l'écriture, un risque moral qui touche profondément même si la voix est aussi très personnelle: chaque voix est différente et c'est la voix qui donne corps à tes pensées, à tes doutes, à tes questions. Tu ne peux pas mentir avec ta voix. Pour revenir au jugement, il est moins présent dans les chœurs où tu es en groupe, mais peut-être que si je chantais mes textes je verrais les choses autrement.

Projets 

Filigranes : Et tes projets ?

Agnès Petit : En  chant, ils sont nombreux ; c'est cette recherche vocale et musicale qui actuellement motive mon écriture. Cette dernière est indispensable à l'évolution de mon travail. Elle me permet une autre "écoute" de ce que je chante et une distanciation par rapport à "l'être" chantant.

 

Entretien conduit
par Michèle Monte et Teresa Assude
.
Juin 1993.

 

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite aux lointains
du chant qui s'est perdu
Comme si au-delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant
et le seul absolu

Yves Bonnefoy