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"Écrire, ébranler le sens du monde,
y déposer une interrogation indirecte…"
 
 
 

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(Février 2012)

Ne faudrait-il pas ajouter une interrogation à cet énoncé : "écrire, ébranler le sens du monde,  y déposer une interrogation indirecte. »  ? Quelle prétention, quelle audace, dans le monde déterminé, au dire des hommes, par les déités, les puissances occultes ou marchandes, la guerre et la paix, les valeurs des indices de la Bourse ?

Bien sûr, certains écrits ont marqué les consciences au point de taquiner l’universel,  grands textes mythiques ou sacrés, la Caverne de Platon, le Cogito de Descartes…  Et dans notre langue le Roman de chevalerie, la Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, l’encyclopédie de Diderot, Un coup de dé jamais n’abolira le hasard de Mallarmé, et bien d’autres. Mais est-ce bien de cela dont il s’agit ? Nous parlons de littérature…

Du côté de l’écrivant, l’écrivain ne s’est-il pas toujours senti démiurge : il façonne l’univers d’un roman, établit et classe concepts et pensées, et s’il est poète, se fait ordonnateur d’oracles. Tantôt faute d’oracles, il est ordonnateur de mots c’est dire du monde, car le monde, en deçà  de l’expérience sensible et sensorielle est ce que l’on en dit, ce qui est écrit. Alors oui, il se pourrait qu’écrire…

Si on ne peut être l’instigateur de toutes (ou de quelques) choses, du moins par la forme du verbe en être l’énonciateur, le scripteur et interroger le sens et si ce n’est le subvertir au moins "l’ébranler".

Pourtant Roland Barthes lui-même évoque dans Le degré zéro de l’écriture l’impossible captation de l’énoncé du monde et du sens dans  sa  frémissante vivacité. Il affirme : "L’écrivain reconnaît la vaste fraîcheur du monde présent, mais pour en rendre compte, il ne dispose que d’une langue splendide et morte, devant sa page… il observe une disparité tragique entre ce qu’il fait et ce qu’il voit…".  Il y a "une impasse de l’écriture et c’est l’impasse de la société même".

Les mots portent sur le dos le fardeau de plus et moins que les choses qu’ils nomment, les êtres et toutes subtiles abstractions. Quelle échappée dans la double postulation de la répétition et de la ré-création.  Répétition dans les registres établis de la langue, des langues, des formes, des conventions de genres. Ré-création, enjeux du jeu, subversion aux risques d’être incompris, non lu, voire conspué.

Apprendre à écrire, n’est-ce pas se départir de la toute fluidité de la parole, son déversement continue vers l’effacement (les paroles s’envolent), son jaillissement dans l’imminence de l’instant, pour mouler les sons portés de sens dans les coffres scellés de la grammaire, la syntaxe, l’orthographe…  Écrire, c’est figer l’énoncé sur du papier glacé et récemment sur écran parfois tactile souvent plus versatile.

Il est une fascination que je partage, celle des écritures inconnues, suites de signes indéchiffrables à mes yeux et plus fascinantes si je les sais indéchiffrées. Gravées dans la pierre, peintes sur des murs, sur des peaux ou des papyrus. Leurs mystères offerts dévoilent notre ignorance, aiguisent notre curiosité, aiguillon à toute science du déchiffrement. C’est  ce même mystère qui se joue dans l’évidence du POEME. Offert et composé dans l’aléatoire d’une conscience, le poème est écartelé entre d’une part les modalités d’une langue usée, exsangue et criblée de sens par les mots couverts d’histoire, des textes  juxtaposés comme des couches de mille feuilles jalonnant les genres ET le mystère d’une parole écrite, éclose vierge encore de son défrichement. Hiatus du poème qui se creuse comme une blessure du sens  commun. Là, l’évidence factuelle du monde se mue en une interrogation dans la langue, à la commissure même du doute.

Anne-Marie SUIRE

 
 

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ééécrire, ébranler le sens du monde...

 
 


(2011)

Ébranler le sens du monde. Y déposer une interrogation indirecte par le biais de notre écriture. Mais il (l’écrivain) ne donnera pas sa réponse.
 

Toute petite… je suis.
Mais…
Je possède un pouvoir ! Ah ah !!
Moi… connaître l’al-pha-bet, savoir faire des phrases.
Écrire !
Ni, bien.
Ni, mal.
Peut-être vrai.
Peut-être faux.
Mais écrire je peux.
Partir à l’aventure.
Suffit d’une plume et d’une feuille. Et… hop !
Comme une bouteille à la mer mais je serais à l’intérieur.
Destination : inconnue. Durée du voyage : imprévus.
Mille choses à raconter après j’aurais.
Mille questions en sortiront.

Là-haut, dans le système solaire, les planètes ne changeront pas leur course sidérale mais ici-bas… qui peut dire ?
Quelques lignes, et une pensée fuse, l’esprit s’aiguise, le mental s’agite.
Cette éventualité est du domaine du possible.
Quelques lignes et le lecteur
T
O
M
B
E
en apesanteur.
Deux trois mots, des fois même pas beaux, juste sonnants et trébuchants pour voir
le monde autrement ?
 

Jeannine Anziani
 

Barthes
   

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écrire, ébranler le sens du monde...

 

 

 
 

 

"Écrire, c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte (…)"
Roland Barthes


Comment, pourquoi ? Dans cette phrase de R. B. tout m'interroge…
- le monde a-t-il un sens donné, caché, immanent, à trouver ?
- "Y disposer…" Attitude volontariste ! Quelle croyance ou foi dans le pouvoir de l'écrit pour s'imaginer en train de disposer sa touche dans le monde !
- "…une interrogation", soit, mais "indirecte" ? Est-ce à dire que toute interrogation ne serait bonne à dire que si elle ne vise pas directement son but ?

L'image qui se forme dans mes yeux, est celle du bâton dans l'eau. On a l'impression qu'il est brisé : illusion d'optique ! On croit qu'il a changé de direction, mais il reste le même.
Appliqué à l'interrogation, faut-il un subterfuge de ce type, laisser croire ou faire croire que le bâton est cassé, en passant par exemple par la fiction, pour atteindre le résultat désiré, à savoir, ébranler le monde ?
La poésie permet la fiction. Elle s'autorise des mots et des images pour tenter de dire l'indicible qui est pourtant compris, ici ou là, par un lecteur de fortune. Le biais, c'est de le faire entrer dans un univers où vit l'interrogation fondamentale ; c'est de proposer à ce lecteur un lieu, un promontoire, d'où il pourra suivre l'avancée de la question ; c'est le mettre en situation, par l'intermédiaire des mots, de se mouvoir dans cet univers, de le faire sien, d'en comprendre les détours et les arcanes jusqu'à l'enrichir à son tour de ses propres interrogations, en l'invitant à les déposer lui aussi dans le paysage.
J'appelle ici "paysage", un ersatz du vaste monde, tapis où est tissée de mille brins l'interrogation existentielle. Paysage appelant le partage ; peut-être même l'incompréhension ou l'incompatibilité."
 

Odette Neumayer
 

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écrire, ébranler le sens du monde...

 

 

 
 

Le sens du monde est celui imposé par l'héritage culturel, l'idéologie dominante, celui de la tradition et des coutumes ancestrales, le sens du monde est celui forgé par les médias, celui des convictions partagées par le plus grand nombre.

"Le véritable créateur lutte contre les systèmes de représentations normalisées de la société" nous précise par ailleurs Roland Barthes.

Ainsi donc l'écrivain doit s'affranchir des systèmes établis, bousculer la pérennité des usages, rompre avec la morale et les moeurs traditionnelles. L'écrivain propose une lecture originale de notre environnement social et intellectuel, il est le terreau sur lequel germeront les idées et les réflexions nouvelles.

Mais lorsque le lecteur s'empare d'un écrit, sa liberté est totale. Est-elle plus déterminante que celle de l'écrivain ? Celui-ci devient le prophète d'évènements qu'il n'avait pas nécessairement pressentis.

Christian Castry

 

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Une des dimensions possibles de l’écriture aujourd’hui serait de susciter en nous le désir d’une autre réalité. Non pas tant dresser le tableau critique de la réalité actuelle que redonner le goût de se projeter vers un ailleurs désirable.

Dans ce projet la poésie a un rôle à jouer, car elle fait échapper aux discours de masse et permet les appropriations multiples. Elle est donc aux antipodes de ce qui nous tue – le discours mystificateur de la pub, le discours simplificateur ou prétendument consensuel de la politique au petit pied –. Elle redonne du jeu, elle fait échapper au cercle des nécessités et alimente en nous la conviction souvent battue en brèche par la réalité ordinaire de la valeur d’une parole singulière par laquelle on se construit.

Par l’écart qu’elle instaure entre les discours ordinaires et sa logique propre, par la mise en suspens du sens qu’elle opère, elle nous confronte à une altérité irréductible et introduit ce faisant un espace où le lecteur peut s’éprouver lui aussi comme sujet. Mais il reste à multiplier les lieux où cette expérience socialisée devienne un levier d’émancipation.

Arlette Anave

 

 

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"Écrire, ébranler le sens du monde, y déposer une interrogation indirecte…"

Depuis quelques temps je tourne autour de la question du statut de cet extrait. Un affirmation ? Un constat ? Une interrogation ? Un doute ? Si cette phrase me plait, c'est qu'elle oscille entre deux voire trois absolus et que le paradoxe y règne en maître !

Audace. "Ecrire, ébranler le sens" (un sens, quel qu'il soit) ! Quelle cran que de penser que ce serait possible ! À l'heure où les termes de changement, rupture, révolution sont sur toutes les lèvres, Barthes joue pianissimo et cela fait du bruit : il s'agit "d'ébranler". Simplement d'ébranler ? Ce terme, ce verbe est-il plus fort, plus radical ou plus conciliant, plus modeste que les autres. C'est toute la question et l'oxymore n'est pas loin.

Ebranler quelque chose, cette chose doit être bien imposante au point qu'ébranler semble la seule action possible. On ne parle pas de supprimer, de remplacer, de créer. C'est bien ce que confirme la suite : "le sens du monde". Quel sens ? Le monde a-t-il un sens ? Plusieurs sens ? Lesquels ? et portés par qui ? Dieu ? Les hommes d'ici, ceux de là-bas ?

Pourtant, cette phrase me plait.

Michel Neumayer

 

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écrire, ébranler le sens du monde...

 

 

 
 

 

ÉCRIRE, ébranler sens du monde…

Comme si le monde portait en soi un sens, un dessein, un quelque chose qui serait un socle et que nous interrogerions, "y déposant une question".

L'écriture à laquelle je pense et que je découvre sous ma propre signature serait plutôt du côté de Montaigne donné en exergue au départ du Jardin des plantes de Claude Simon : "aucun ne fait certain dessain de sa vie, et n'en délibérons qu'à parcelles (…). Nous sommes tous de lopins et d'une contexture si informe et si diverse, que chaque pièce, chaque moment faict son jeu".

Écrire ce serait configurer un paysage, agrégat de parcelles, de couleurs, de textures. Ce que Marcel Migozi dit en ces termes : " Le poème, lui, fait tableau sur une page". Tableau plutôt abstrait. Non pas Mondrian dont les lignes de séparation, si droites, si régulières font peur. Plutôt Klee pris entre chaîne et trame, entre répétition et invention, entre norme et détournement de la norme. Une zone verte, forêt ombragée et humide de la petite enfance, protection et terrain d'aventure ; une ou plusieurs taches rouges et noires, trous, irruptions cinglantes qui obligent à bifurquer ; un fleuve qui sépare et relie

Michel Neumayer

 

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