"Animer
un atelier d'écriture
Faire de l'écriture un bien partagé"
par Noëlle De Smet
Odette et Michel NEUMAYER
ESF, Collection Didactique du Français, 2003
Oui, LE livre
parce que nous l'attendions ! Nous, ceux et celles qui ont participé
aux Ateliers d'Écriture créés et animés par Odette et Michel… et
tous ceux qui en ont entendu parler.
LE livre
s'inscrit dans une histoire à laquelle beaucoup parmi nous avons
participé via les Ateliers d'Écriture programmés aux RPE pendant une
dizaine d'années[1]
Et les auteurs
évoquent cette histoire " Pendant de nombreuses années,
nous avons contribué avec bien d'autres dans l'Éducation Nouvelle[2]
et ailleurs au développement des ateliers d'écriture. Nous avons
multiplié les inventions, les animations et développé, au fil des
stages, ce qui est finalement devenu un laboratoire de recherche et
d'expérimentation, doublé d'un ensemble constitué de pratiques ou
d'outils. Au nom de l'urgence et d'un certain pragmatisme, nous nous
sommes longtemps contentés de publier le déroulement de ce que nous
inventions, le bout à bout des consignes. Diverses plaquettes
pédagogiques et comptes rendus de stages ont paru, presque
confidentiels.[3] Quelques
écrits produits au cours des ateliers ont été repris dans des revues.
Aujourd'hui, nous sommes conscients qu'une des limites du travail
militant est cette diffusion a minima des recherches. Voici pourquoi,
tentant de mettre en patrimoine et de reconnaître notre travail, nous
avons cherché à dire comment un jour émerge, dans la tête d'une
personne " quelque chose nommé projet d'atelier"
L'histoire de
leurs ateliers d'écriture, ils l'ont donc créée et ils l'ont vécue
avec toutes sortes de participants en France, en Belgique, en Allemagne,
en Suisse, avec différents publics.
Dans ce livre,
Odette et Michel Neumayer nous invitent, comme à chaque fois, à
"entrer dans l'aventure de l'écriture sous le signe du "tous
capables d'écrire".
Ceux qui sont
entrés dans cette aventure (en écrivant avec eux lors de leurs
ateliers) et ceux qui y entreront en se plongeant dans le livre qui en
donne le désir.
En ouverture ,
d'emblée, il est question de l'utopie de et de la filiation à
l'Éducation Nouvelle, des ateliers d'écriture comme partie intégrante
d'une véritable "culture de paix"[4],
de l'écriture comme résistance.
En pièce
maîtresse, cinq moments introduits chacun par un prélude et ponctués
de quatre contrepoints.
Que
contiennent ces cinq moments?
Le premier
présente l'entrée dans l'écriture à travers trois ateliers en
relation avec Kafka, Aragon et la problématique du don, des outils pour
dépasser la peur de la page blanche.
La deuxième
partie porte sur le rapport des sujets à la langue lorsqu'ils
entreprennent d'écrire… Avec des ateliers dans les parages de
Michaux, Queneau et de l'écriture poétique.
La troisième
partie explore différentes facettes de l'imaginaire du voyage, prenant
appui sur Cortazar, le Sindbad des 1001 nuits et les écrivains
marcheurs.
Avec la
quatrième partie, on entre dans la prolifération et l'accumulation de
textes. Là, Perec et Simenon servent d'éclaireurs, ébranlant "
la conception d'une production à la fois finie et infinie". Et
l'hypertexte permet d'explorer une nouvelle conception du texte appuyée
sur les technologies de l'information et de la communication.
La dernière
partie du parcours a pour objet une réflexion à propos du lien entre
création, histoire et transmission. De Proust à Hiroshima, en passant
par la " Rencontre de deux mondes" de 1492… C. Colomb et les
autres.
Pour chacun de
ces quinze ateliers, Odette et Michel Neumayer évoquent les questions
liées à leur invention et les circonstances de son animation. Ils
décrivent les phases de travail, avec le détail des consignes et
propositions. Des extraits de productions de participants émaillent
chaque atelier et donnent au lecteur une idée de la productivité des
consignes et du chemin des "écrivants"
Les contrepoints
éclairent le sens de ces ateliers en mettant en avant par exemple, la
notion de situation facilitante, l'usage fait des analyses réflexives
après un atelier, la question des relances du groupe qui, faisant
commande, permet à l'écrivant d'aller plus loin, plus haut, plus fin,
plus à côté…
Et si Odette et
Michel Neumayer s'appuient sur l'apport des écrits et témoignages de
nombreux auteurs, ce n'est pas pour faire "écrire à la façon
de" mais pour inventer, à partir du travail de ces auteurs, des
consignes inattendues et "permettre à tous de découvrir des
usages, des manières de faire, des conceptions de l'écriture
susceptibles de dénouer les appréhensions initiales et d'aboutir ainsi
à de premières productions."
Passionnant,
intéressant, vivant ce livre ! Outil bien utile aussi… à prendre et
reprendre lorsqu'on tente de créer des démarches d'écriture. A avoir
en tête même pour d'autres démarches aussi peut-être
Et puis ce
livre, il donne l'envie d'écrire et de faire écrire… vraiment!
Mais
à l'heure où tant d'ateliers d'écriture s'organisent un peu partout…
qu'apporte-t-il de particulier?
Justement cette
multiplication des ateliers d'écriture questionne les auteurs et leur
fait dire leur choix propres : Pour tous ces ateliers,"s'agit-il
seulement d'un engouement un peu frivole, voire narcissique, pour une
forme émergente d'occupation intelligente des loisirs? Veut-on
simplement fréquenter de manière plus ludique et plus irrespectueuse
la littérature? Peut-être bien et pourquoi pas? Mais comment justifier
alors qu'à de rares exceptions près, le primat y soit souvent donné
au "faire", à " l'écriture avant tout", peu
importerait l'analyse du comment, du grâce à quoi et pour quoi?
Comment ne pas voir que la fuite en avant dans "l'animation tout
terrain" occulte l'idée même de travail et d'effort? Comment
être sûr qu'en appelant à la créativité partout et tout de suite,
ce n'est pas un refus de réfléchir à propos de l'acte même de créer
qui s'installe, faisant fi de sa complexité et de ses paradoxes? Qui
nous garantira que sous prétexte d'inscrire l'écriture dans le
présent, une certaine méconnaissance du passé ne se glisse pas dans
les ateliers? Au nom de la modernité, on aurait oublié ce qui, depuis
des siècles, est à l'origine de bien des actes créateurs : le goût
du divertissement et le sens du jeu, peut-être bien, mais aussi la
volonté de faire rupture avec ce qui voudrait nous limiter, un puissant
désir de changer, l'intuition que, par la création, on pourrait
transformer radicalement ce qui fige notre perception des choses
humaines et du monde. "(p.20)
C'est bien là -
et tout le livre en témoigne avec minutie et ampleur - que réside la
spécificité des ateliers d'écriture tels que les conçoivent Odette
et Michel Neumayer. Là et dans cette optique éminemment politique
indiquée entre autres par le sous - titre de leur livre " Faire de
l'écriture un bien partagé", et cela, en passant par leur style
de chemin:
" Nous
avons souvent privilégié l'entrée par le microscopique - l'atelier,
la consigne, le texte - , car il nous semble que c'est la clef pour
comprendre le macroscopique - l'histoire humaine, les pratiques sociales
contemporaines, le rapport de l'homme moderne au pouvoir, à la langue
et la culture, la question de l'imaginaire. Nous avons posé que
l'écriture n'est pas affaire de don, mais usage de soi par soi,
construction d'une identité nouvelle et de nouvelles formes de
sociabilité. Nous avons mis l'accent sur la dimension collective et
historique de l'acte d'écrire pour comprendre comment se développe
l'intelligence humaine, à la fois héritière des savoirs et
savoir-faire du passé et infatigable productrice de nouveaux textes, de
nouveaux genres, de nouveaux usages de la langue"(p.210)
LE livre et les
Ateliers d'Écriture tels qu'ils sont pensés par Odette et Michel
Neumayer ne concernent donc pas l'écriture pour l'écriture mais à la
fois par elle, en de ça et au-delà d'elle, tout un rapport au monde,
tout un chemin d'émancipation, toute une démarche de créativité ,
d'analyse et de résistance.