Préface
Parce qu'une ville a besoin d'être parlée…il sera question
dans ce livre d'enfants, d'adolescents
et d'adultes, toutes générations confondues, tous, tout simplement,
manosquins, qu'ils le soient depuis toujours ou d'hier, voire d'aujourd'hui.
Parce qu'ils sont familiers de cette ville, parce qu'ils y
vivent entourés de leurs parents et amis, dans leur micro-société ;
parce qu'ils connaissent l'Histoire et en savent long sur mille et uns faits qui
font la vie de ce coin de Provence, de la Porte Soubeyran à la Porte Saunerie,
du Mont d'or aux Vannades et jusqu'à Sainte Tulle, et qu'ils ont voulu raconter
cela, ce livre est né. Et chacun sait que les histoires naissent de la
rencontre.
En effet, le ressort de la fiction, ce qui fait que les dix
textes ici réunis forment un tout, c'est l'irruption de l'inconnu dans le
connu. Ce sont les ondes de choc que l'inattendu déclenche dans les cœurs et
dans les esprits, avec comme décor Manosque en partage…
Au lecteur de savourer la variété des manières de
traiter cela, de mettre des mots sur l'expérience, de tisser les dialogues, les
descriptions, les grands et petits moments narratifs. Tout en la matière est
inventé, tout est authentique ! Ce n'est qu'une affaire de miroir tendu…
cette confrontation avec l'alien, l'autre, le divers, le divergeant, le
multiple.
Des rencontres
et ce qui
s'ensuit
Au premier abord, ces "aliens" sont des acteurs
presque familiers : un nouvel entraîneur sportif, une vendeuse de journaux à
la sauvette, un énigmatique cercle de poètes amateurs de football, un
animateur qui propose à des jeunes d'écrire une fiction, un capitaine énigmatique,
des jeunes filles de bonne famille, un promoteur immobilier en quête d'un
terrain pour un supermarché, un conteur d'ici et d'ailleurs, un virtuose de
cirque en chaise à roulettes, un mystérieux homme au volant d'une BMW…
Pourtant, c'est souvent de ce qu'il semble le plus proche
que surgit un jour le petit détail qui dérange et oblige à penser autrement !
Un fait, un geste qu'on n'imaginait pas jusque-là et qui déconcerte ; un
argument que l'on a toujours rejeté et que l'on finit par adopter parce que le
point de vue a changé soudain ; une question que l'on ne s'était jamais posée
et qui incite à revenir sur l'histoire commune, à établir des liens ; une
personne qui porte sur vous un regard neuf ; un événement qui bouscule tout et
vous métamorphose, etc.
Ce livre est aussi le fruit
d'un
défi politique et culturel.
Défi de la part du Service de Développement culturel de
Manosque et de ses responsables qui ont soutenu le projet dans toutes ses phases
en offrant à chaque groupe, à chaque structure, la possibilité d'écrire à
son rythme et pourtant collectivement, solidairement et non solitairement.
L'invitation était de se retrouver autour d'un projet
commun : un collège, un lycée professionnel, un centre de loisirs, un centre
culturel, un organisme de formation, un lieu de vie pour hommes seuls, la
bibliothèque hors les murs et d'autres encore.
Défi de poursuivre l'expérience vécue en 2000 qui
suscita le livre intitulé : Place des Quatre sans Nom.
Transformer l'essai en vivant à nouveau pendant un an, ensemble, l'aventure de
l'écriture, en suivant le beau et difficile chemin qui va des balbutiements
initiaux au livre imprimé, en passant par toutes les étapes de la création :
de la réflexion sur le projet aux lectures nourricières, de la production de
premiers fragments au montage d'un scénario, sans nier les moments de doute,
sans sous-estimer les jubilations, les découvertes, les apprentissages, mais
aussi l'angoisse de savoir si "on bouclera" et le soulagement quand
tout semble enfin ficelé !
Inviter les participants à échanger les productions, à
se relancer mutuellement, à être chacun pour l'autre le premier lecteur, le
plus exigeant des partenaires, celui qui vous dit que tel moment est déjà bien
intéressant, que tel passage mérite un meilleur traitement, que tel autre
pourrait être prolongé, fut plus qu'une découverte. Ce fut un grand moment de
coopération, une utopie traduite en quelques actes simples.
Permettre à tous ceux qui avait pris l'engagement d'écrire,
d'ouvrir les yeux sur leur ville et sur ses habitants, de mieux regarder les
rues, d'entendre ce qui s'y dit, de lire ce qui y est déjà écrit, fut aussi
une manière d'établir des passerelles avec les poètes, eux qui redoublent de
notes tout ce que le monde leur offre et nous le restituent métamorphosé en récits,
en mythes, en histoires.
A tous ces auteurs d'un
jour
nous avons confié nos secrets,
notre boite à outils, notre expérience.
Non pas une méthode, plutôt un état d'esprit. Nous l'avons
fait par le truchement d'ateliers d'écriture que nous avons mené dans le cadre
d'un groupe de pilotage. C'est lui qui a ensuite été porteur du pari que ce
nouvel ouvrage qui présenterait Manosque et ses habitants, qui serait écrit
par eux et pour eux, levant le voile sur ce qu'ils ont dans le cœur, était
possible. Un récit multiple, sans fard, mais sans se priver non plus des fastes
de l'imaginaire et de l'imagination.
Que ce livre ait finalement été produit par autant
de personnes, aussi diverses que des enfants qui découvrent le bonheur des
histoires, des jeunes qui apprennent l'écriture, des adultes que la vie a
durement éprouvé, sans oublier tous les autres, passants
"ordinaires", hommes et femmes du commun à l'ouvrage est un grand
bonheur. Que les formes pour le faire soient multiples, du récit classique au
montage de fragments, de l'enquête policière au conte, qui s'en plaindrait ?
C'est ce groupe de pilotage qu'il nous faut remercier
ici pour son enthousiasme, son inventivité chaque fois qu'il a eu à
transmettre, à transposer, à adapter et finalement réinventer pour son propre
public ce qu'il avait pu découvrir lors de ses séances de formation. Sa ténacité
aussi doit être soulignée, celle de faire valoir jusqu'au bout, auprès de son
public, les contraintes communes : écrire un texte dont Manosque serait le théâtre,
autour de la rencontre entre une micro-société et un alien ; le faire ensemble
et en coopération ; en une année scolaire ; avec l'objectif d'une publication
dont la date impérative était connue de tous.
Mais écrire un livre
ce
n'est pas qu'écrire un livre.
Tous, nous avons pu vérifier que
proposer l'écriture, le faire à autant de personnes à la fois, et si différentes,
n'est jamais affaire acquise. L'accès au savoir et à la culture, la
revendication du droit à la fiction sont loin d'être chose partagée entre
habitants d'une même ville. Les freins sont ici multiples, la sous-estimation
de soi et de ses capacités en est une et non des moindres.
Les objectifs propres à chaque structure ne pouvaient donc
être les mêmes et les textes proposés ici ne répondent ni aux mêmes enjeux,
ni au mêmes conceptions de ce qu'est un texte et de ce qui peut en faire la
qualité. Les autorisations que chaque écrivain s'est données, les audaces
qu'il s'est permises, les obstacles qu'il s'est mis sur son chemin, ne sont pas
les mêmes non plus. Quand les uns avaient hâte de produire un écrit fini,
socialisable et socialisé, et confortaient ainsi des apprentissages
fondamentaux de cours de français, d'autres apprenaient – pour la première
fois peut-être - à s'insérer dans un
projet-grandeur-nature-et-collectif-je-vous-prie, d'autres encore apposaient non
sans réticences une fragile signature au bas d'une feuille manuscrite, d'autres
enfin tentaient, pour la première fois eux aussi peut-être, de se libérer par
l'écriture de ce qui les hante et souvent les stigmatise.
Nous sortons de cette expérience
transformés nous aussi,
mais plus que jamais convaincus qu'écrire
est un épreuve existentielle qui nous confronte à la question de la place que
nous voulons occuper dans la société, à l'usage que nous voulons faire des
normes et de leur possible dépassement, au temps et à sa gestion, à l'inépuisable
réel, à la langue enfin, fascinante et si compliquée parfois.
Les écrits donnés à lire ici sont tous parlants. Ils
opposent un gai et émouvant démenti à tout ce qui pourrait nous rendre
pessimiste. Oui, le récit n'a pas perdu de son charme et le jardin des mots de
son alacrité…
Odette et Michel Neumayer
Analystes du travail et animateurs d'ateliers d'écriture
(1)
, premier livre collectif
produit par douze structures
manosquines,
un projet initié par la Bibliothèque hors les Murs
et
le Service de Développement culturel
de la Ville de Manosque,
publié
par les Ateliers du Ricochet (Manosque 2000).
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"Le livre du livre"
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