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La peinture,
c’est une surface
qui interroge la profondeur…

 

Serge Plagnol, né en 1951, vivant à Toulon, peintre et ancien professeur à l’école des Beaux-Arts de Nîmes, est venu au séminaire de mai de Filigranes en apportant quelques toiles récentes. Après quelques questions comme entrée en matière nous avons écrit à partir de ses tableaux puis poursuivi l’échange avec lui.

 

Comment ça a commencé la peinture, la création, pour toi ?

Ça a commencé très tôt : dans l’enfance, dans l’adolescence, je dessinais. C’est peut-être une manière d’échapper au quotidien parfois difficile. J’ai continué, encouragé par des parents et un grand père lui-même peintre et architecte. Il y a eu une transmission positive Après des études d’histoire de l’art et d’arts plastiques à l’université de Provence j’ai enseigné d’abord dans l’éducation nationale puis dans des écoles d’art à Toulon et Nîmes. La pratique de la peinture est donc liée à l’enseignement, la parole, l’écriture aussi, un peu, parce que j’écris des carnets de bord, mais aussi à la poésie, à la psychanalyse, dans les années 80, et la dernière expérience d’enseignement en date, c’est l’été dernier, en Chine, dans une académie des Beaux-Arts, pour faire faire de la peinture dite occidentale, à l’huile. Je suis allé en Chine parce qu’il y a un partenariat entre l’école des Beaux-Arts de Nîmes et une école chinoise à Shenyang. Il y a eu les ateliers mais aussi des échanges parlés, écrits, peints. Donc la peinture, effectivement, s’est souvent articulée à d’autres pratiques.

 

Casser le discours par le geste de peindre

Est-ce qu’on décide un jour de devenir peintre ?

Il n’y a pas eu un évènement précis, mais oui, il y a eu une décision, une sorte de pari de penser que cela va devenir l’activité principale et nécessaire.  Dans les années 90, j’ai arrêté l’enseignement, et j’ai décidé de ne faire, comme on dit, que peindre, et d’en vivre économiquement. Je me rappelle très bien le moment, c’était un challenge : je crée des choses mais je veux aussi en vivre. Le discours théorique, pédagogique aussi, devenait trop prégnant : il fallait casser le discours pour le geste de peindre. Ce n’était pas pour me donner plus de temps, parce que ça, j’y arrivais assez bien, mais c’est qu’à force de remuer dans sa tête, le discours peut empêcher l’acte lui-même. Dix ans plus tard j’ai été obligé de reprendre l’enseignement pour pouvoir vivre un peu mieux, mais il y avait eu ce moment où il m’avait fallu basculer dans une pratique qui, elle, allait produire de la réflexion. L’expérience de la psychanalyse fut aussi une fenêtre ouverte sur des possibles et des transformations vivantes de l’être. Récemment j’ai relu cinq pages de Lacan sur Cézanne, sur ce qu’il appelle « la pluie du pinceau », qui sont très belles et qui m’ont inspiré des peintures précises. Donc la réflexion à des moments peut déclencher, et à d’autres entraver la création.

 

Outre la transmission familiale, l’enseignement, est-ce qu’il y a eu des rencontres importantes pour ta pratique de peintre ?

 

Oui, il y a des rencontres qui sont fondamentales, qui sont des révélations, des épiphanies. Par exemple quand je vois pour la première fois à quatorze ans à l’Orangerie Les Nymphéas de Monet. Certaines œuvres nous accompagnent toute une vie et nous transforment. Je dois beaucoup aux découvertes par les visites familiales dans les expositions comme dans les années 60 à la fondation Maeght de Saint-Paul de Vence. Des souvenirs d’émerveillement.

Ça me reste toute une vie, j’y retourne chaque année. C’est la sensation pure là, ce n’est pas le discours. Cézanne aussi… Ce sont des sortes de maitres spirituels. Je dois beaucoup à ma famille pour ça, aux premières découvertes dans la bibliothèque, par exemple les dessins de Matisse pour la chapelle de Vence. Les techniques je les ai beaucoup apprises par moi-même, pas tellement aux Beaux-Arts. Par contre j’ai beaucoup appris à l’université, par l’histoire de l’art, et dans mes tableaux il y a une mémoire de la peinture, je travaille en permanence avec la peinture des autres, ça joue beaucoup, même si à certains moments aussi, pour ne pas se laisser entraver, il faut oublier.

Les rencontres avec la poésie ça a été dans les années 80 : il y a eu des livres avec Bernard Noël, puis  Marcel Migozzi, Jean-Luc Sarré, des romanciers, comme Christian Garcin, Jacques Serena. Et puis la poésie m’accompagne au quotidien, non pas que j’illustre des poèmes, mais il s’établit des correspondances : une poésie entre en résonance avec une peinture déjà faite ou en train de se faire. Aujourd’hui par exemple je dialogue avec les poèmes de François Cheng.

 

Et quand on arrive à un certain âge, comment on regarde ce parcours qu’on a fait ?

 

Je tente d’en voir la cohérence et les contradictions, souvent à l’occasion de présentations des peintures.  J’oscille entre les moments de satisfaction et de plaisir et ceux de doutes. Il est toujours agréable de penser que telle ou telle peinture redécouverte « tient le coup et le temps » et par contre on s’aperçoit aussi que d’autres feraient mieux de « se faire oublier » ! Le doute est régulier, il est profitable s’il débouche sur des critiques constructives. Il ne faut pas se laisser submerger par lui. Parfois, quand j’entre dans l’atelier, je me dis qu’il y a trop de peintures, je me sens submergé, il faudrait trier, surtout pour ceux qui viendront après. Picasso, lui, ne jetait rien, mais Soulages brûle les toiles qu’il ne veut pas garder, entre les deux il y a tous les cas de figure.

 

Après cette entrée en matière, nous avons pris un temps d’écriture à partir des tableaux apportés par Serge Plagnol, pour faire l’épreuve de ce passage de la sensorialité de la peinture à l’écriture, qui est a priori plus abstraite, plus sèche. Mais auparavant Serge nous a parlé des tableaux qu’il a apportés :

 

Serge Plagnol : Deux tableaux appartiennent à une série appelée La musique des branches, et j’ai choisi volontairement dans la série un sombre et un clair, et un autre, plus vertical, Paysage en bleu, avec cette division de l’espace qu’on retrouve souvent dans mes tableaux et qui renvoie au thème de la fenêtre, à ce qui est montré/caché. Trois autres appartiennent à une série plus récente : celui avec un visage et des signes, s’intitule Visage/paysage de Chine, je l’ai fait à partir de croquis en revenant de Chine, il y a la question des portraits, des visages, dans la peinture ; un autre, avec ce profil féminin, est intitulé Dans l’atelier de Chine. C’est le thème classique de l’atelier, avec le modèle, une sorte de fenêtre, un chevalet, une silhouette qui est peut-être un autoportrait, des pinceaux. Le troisième enfin, c’est  toujours cette idée du portrait et de la fenêtre, et je l’ai intitulé Le Songe. Pour aller vite, sur une trentaine d’années, mes peintures ont toujours oscillé entre une abstraction et une figuration : il y a des signes en apparence abstraits mais qui renvoient toujours en réalité à des éléments de paysage ou de corps humain.

 

Après le temps d’écriture et de lecture….

 

Empreintes de feu

Estompe de jaune et d’orange en mélange
Souvenir de traces volcaniques
de bouillonnement flamboyant
des profondeurs agitées
Les branches vers des cieux lumineux
apaisent les âmes
adoucissent les cœurs
et les corps
qui se parent
d’estampes bleues

Anne-Claude THEVAND - Samedi 18 mai 2019 - Séminaire Filigranes, d’après un tableau de Serge Plagnol de la série « La musique des branches »

 

 

Dans une seconde vie

L’énergie du tableau gagnera le texte
tu sais cela possible même si
à ce stade tu ignores encore
quels mots tu garderas finalement

une seule couleur
gardera trace
du soulèvement des pigments
sur la toile toujours
un peu au centre

le noir ne sera pas tout à fait noir,
la mine de plomb sur la langue
tu  renonceras à l’embrigadement des ruminations
ouvriras la porte aux fragrances

si de la toile jaillit le texte
si seulement il apparait que
"c’est l’histoire de…" parle trop fort
alors attendre peut s’avérer juste barque

parce que d’emblée
la toile t’impressionne
par sa taille son foisonnement
par sa force de persuasion

tu fouilleras le ton
accordé à l’aura du son
perçue parce que
tu mets debout le silence
Dans cette suspension
et l’attente de savoir 
ce qui résiste à l’immobilité
tu chercheras à faire céder l’impression

Gislaine Ariey

 

 

 

Nu à la fenêtre/ Le songe

C’est peut-être un exercice, une inscription humble dans l’histoire de la peinture, et on voit une Vénus ou une Madeleine devant un paysage à la fenêtre. Mais le corps lisse de jeune femme est humble lui aussi, il ne répand pas ses cheveux, ne se joue pas dans des dévoilements de drapés qui miment les lumières des épiphanies de la chair ; un linge coloré sur l’avant-bras, il se cale le long de la peinture, et sa beauté semble dire quelque chose de ce qui reste des désirs de jeunesse, coupants comme du silex taillé quand ils reviennent dans les rêves, qu’ils donnent du mordant aux apparitions et creusent de cernes noirs et gris les silhouettes qui ne seront plus ; elle, là, son regard dessillé vers ailleurs que nous, vers ailleurs que le peintre, vers ailleurs que la fenêtre même, vers ailleurs que le livre qu’on lui devine, la coupe de notre monde et nous y fait manquer de sa présence ; et c’est pourquoi ce qui appelle notre regard, c’est ce rectangle blanc au centre qui découpe l’espace de nos songes, c’est ce rectangle jaune qui, à gauche, fait pendant au corps, à l’or de son souvenir, c’est la fenêtre qui nous envoie dehors, vers ces runes à déchiffrer d’arbres épurés de leur vert, et redonne du soleil à l’âme en promenade, et la fraîcheur de l’ombre d’arcades inconnues .

Laure-Anne Fillias-Bensussan

 

 

PREMIÈRE IMPRESSION DE SERGE PLAGNOL

Serge : Il y a des textes de nature très différente : certains très descriptifs, presque analytiques, ceux qui sont purement des sensations, et puis, surtout sur les petits, il y a des débuts de récit, de fiction. Il y a des choses qui m’ont surpris : deux personnes ont parlé de forces volcaniques pour les tableaux bleus là où d’autres ont évoqué l’infini du bleu, que j’attendais davantage. Il y a aussi tout ce qui a rapport à l’absence/présence, ce qui apparait et disparaît. Plusieurs textes font allusion au fait que toute peinture, d’une certaine façon, est un autoportrait. Il faudrait reprendre chaque texte pour le relire : c’est la première fois que je fais cette expérience en direct.

 

 

 

Une peinture palimpseste

 

Comment définirais-tu la peinture, en une phrase ?

SP : La peinture, c’est fondamentalement une surface, au contraire de la sculpture. Comme disait un enfant une fois dans mon atelier, c’est comme une seconde peau, et c’est le paradoxe d’une surface qui interroge la profondeur. La peinture « comme invention d’une peau » ! Mais la surface ce n’est pas la superficialité, et cela n’exclut pas une inquiétude dans cette quête de la couleur. Et puis parfois il m’est arrivé de creuser le support, du bois en l’occurrence, au lieu d’ajouter des pigments. J’ai inversé mon geste, j’ai creusé au lieu de mettre.

 

Comment ça se passe quand tu démarres la toile ?

SP : Je pars sur une improvisation, ça peut être un brossage de la surface avec une couleur, puis un signe, comme l’esquisse d’un visage, par exemple, qui ensuite se modifie. Il y a d’abord une tache colorée et un signe écrit, qui sont improvisés, et à partir de là j’essaie de construire la peinture avec un langage formel, la surface, les lignes, la couleur, les rythmes. C’est complètement intuitif. Je travaille sur un assez long temps en couches successives qui se recouvrent, ce que j’appelle un palimpseste. Concrètement, les touches de jaune sur le tableau sombre que j’ai apporté, c’est ce qui est resté de dessous, c’est une lumière qui vient de dessous. Le titre, lui, vient toujours après, le mot fait écho au tableau une fois qu’il est fini, de même que ce n’est pas le poème qui va m’amener au tableau. C’est plutôt la convergence d’une ambiance. Le mot n’est pas premier. Si le titre venait en premier, ça deviendrait une figure de style imposée.

 

Qu’est-ce que tu entends par un palimpseste ?

SP : Dans le tableau classique, on commence par un dessin, et après on met la couleur, la forme est donnée d’emblée. Ce n’est pas ce que je fais : je dessine, j’efface, je reprends. Dans ces tableaux, surtout les paysages, la forme est en perpétuelle évolution, le tableau se fait en se défaisant sans arrêt et en se refaisant, et ça c’est quelque chose qui est moderne par rapport à la tradition. Je peins par couches, je gratte, je reprends (en peinture on appelle ça un  repentir), je laisse sécher, je repasse par-dessus, j’essaie de créer des transparences ou des opacités.

 

Est-ce que tu te donnes des limites de temps ?

SP : Pas pour faire un tableau, non. Ça peut aller de l’instant à trois mois. Par contre il y a une discipline de travail, mais avec des limites dans la journée : je ne peins pas jour et nuit ! Il y a une mesure.

 

 

 

 

Explorer les variations

 

Que signifie pour toi le fait de peindre par séries ?

SP : La série permet de travailler la variation au sens musical du terme, c’est venu des Impressionnistes et ça correspond à des variations de lumière, au départ. Ce qui est intéressant, c’est la différence, mais au sein d’un même état d’esprit, d’une ambiance intérieure que j’explore au fil de la série. Le fil conducteur c’est le sujet : les visages/paysages, l’atelier du peintre, les portraits. Si je suis dans les portraits, je ne vais pas passer aux paysages et réciproquement. Je peux avoir deux ou trois tableaux en cours en même temps, mais à un moment donné, il faut que je me concentre sur un seul.

 

À quel moment sais-tu que la toile est finie ?

SP : C’est complètement intuitif, je me dis que je ne peux pas aller plus loin et que c’est satisfaisant, même s’il y a des défauts. Mais on peut se tromper. Parfois je détruis puis je me dis que je n’aurais pas dû, que je suis trop impatient. C’est vrai que c’est beaucoup plus facile d’effacer un morceau de texte que de peinture. Avant, quand on écrivait à la main, on avait des brouillons, avec des ratures. Maintenant ce serait plutôt des états différents qu’on enregistre, des copies, et ça rejoint la variation, même si souvent on ne garde que le dernier état. Mais en peinture je ne peux pas garder les variations sauf si je fais des photos, par exemple quand Dora Maar photographie toutes les étapes de Guernica.

 

Les portraits, les paysages, ce sont des genres que la tradition a illustrés. Comment est-ce que tu te situes par rapport à la tradition ?

SP : Je ne me dis pas « je vais faire un portrait, un nu » comme un exercice de style. Je pars d’une inspiration, de ma compagne qui lit, ou qui est devant son ordinateur, ou d’un étudiant dans l’atelier. Il y a un moment où il faut savoir oublier, regarder les choses, les lire, avec un état d’innocence, peut-on dire. Il faut s’évader de la comparaison dans laquelle les critiques ou les spectateurs peuvent parfois s’enfermer. C’est pareil quand on peint, bien sûr qu’il y a une superposition de mémoires, mais à un moment donné il y a une vérité du geste dont je peux dire qu’elle n’appartient qu’à moi., En même temps, contrairement à une histoire de l’art du XXe siècle qui a beaucoup développé la notion de rupture, j’assume volontiers que j’ai travaillé autour de ce que m’ont légué Matisse, Bonnard, Picasso, ou Vermeer dans la série des petits portraits. Il faut savoir, à mon avis, assumer ses filiations historiques. Je pense qu’il y a toujours dans l’acte de peindre une mémoire de la peinture, de celles que l’on aime. Si le geste créateur est dans l’instant, dans le présent, il se nourrit toutefois du passé, de l’histoire pour se projeter et inventer les nouvelles formes. Je ne crois pas vraiment à “la tabula rasa” plutôt à des transformations, des métamorphoses des formes.

 

 

 

 

Un jeu avec la mesure de l’espace et la mesure du temps

Est-ce que quand tu peins tu as un désir de lieu ?

SP : Oui, souvent : désir de lieu pour y peindre (un jardin, un paysage, une situation) et de lieu pour exposer les peintures qui soit en accord avec celles-ci. Par exemple, récemmen,t la  villa Théo au Lavandou, ancien atelier du peintre Théo Van Rysselberghe, un espace lumineux, un jardin, la Méditerranée voisine… L’expérience de Silvacane, elle, a été vraiment une occasion : on m’a proposé d’exposer là-bas et j’ai fait douze peintures exprès pour l’abbaye, en jouant sur les taches colorées et la géométrie du lieu, la scansion des verticales qui venait contredire le paysage. C’était un jeu conscient avec la mesure de l’espace et la mesure du temps.

 

Est-ce que tu vois une évolution dans ton travail ? Est-ce qu’il y a des virages, des ruptures ou plutôt un continuum ?

SP : Les ruptures ont eu lieu avant 1980. Entre 80 et aujourd’hui il y a des évolutions formelles mais pas de ruptures. Par exemple je suis passé de peintures de paysage plus allusives, un peu abstraites, à une interrogation sur la figure humaine. Je me réfère plus à la peinture classique aussi. Par contre j’ai un parti pris très précis de peindre à l’huile, avec le tableau sur chevalet.

 

Est-ce qu’il y a eu quelque chose d’ordre politique dans ton travail ?

SP : Oui, par moments. Au début, après 68, je faisais une peinture beaucoup plus figurative, imprégnée de l’atmosphère politique de l’époque, je peignais des foules, des manifs. Puis à Toulon, dans les années 95, quand il y avait le Front National à la mairie, j’ai fait des dessins, et un livre avec un ami, Daniel Bizien, qui a écrit les textes. Ce n’était pas directement illustratif, mais j’exprimais des choses sur les visages, et le livre s’intitulait La ville, l’ombre, la lumière en réponse à mon angoisse intérieure. Aujourd’hui, non. Je m’intéresse beaucoup à l’actualité, au politique, mais ça n’apparait pas directement dans les peintures. Celles-ci en devenant plus sensorielles et en se séparant du discours deviendraient moins « politiques »...

 

Est-ce qu’il y a quelqu’un dont la présence au fil du temps a été un appui, une figure tutélaire?

SP : Il y a toujours des femmes, des hommes qui sont là, à un moment donné, pour être le regard bienveillant, critique aussi, qui permet d’avancer, de prendre confiance : ami, compagne, galeriste… Mais je n’en ai pas besoin en permanence, non.

 

Quel rapport entre la création et la transmission pour toi, en tant qu’enseignant ?

SP : Le geste de créer ne peut pas exister sans transmission. Enseigner c’est tenter de transmettre une expérience, un savoir, aux autres pour qu’ils en fassent leur œuvre en l’intégrant ou même le rejetant et surtout en le dépassant pour aller plus loin, ou ailleurs, en inventant leurs propres avenirs.

 

Quelle place ont tes carnets dans ta création ?

SP : Le croquis, l’esquisse au jour le jour peut servir pour une peinture ou pas. J’amasse des carnets de croquis, aussi avec des phrases, des citations, je peux noter des sensations, des remarques sur la peinture, la vie, sur quelqu’un ou quelque chose que j’ai vu, mais je les ne les garde pas tous. Par contre j’ai publié Carnets d’atelier, rien que des textes sur la peinture.

 

La poésie ouvre les espaces de l’imaginaire

 

Quel est ton rapport avec les poètes ?

SP : La poésie condense des sensations, beaucoup plus qu’un roman ; elle me parle, et me fait voir. Elle crée des correspondances sensitives. Par exemple, récemment, les poésies de François Cheng font écho avec certaines de mes peintures : une certaine idée du « vide et du plein », de l’harmonie, du paysage et une lumière intérieure ainsi qu’une bienveillance que contiennent ses poésies. Je suis parti avec ses livres en Chine et je les lisais aux étudiants et une étudiante traduisait. Ils connaissent un peu ses livres là-bas, mais pas trop, ils se méfient un peu.

Le cinéma, la photo m’intéressent, mais ils ne m’ouvrent pas des espaces comme le fait la poésie. La musique m’accompagne par moments, à d’autres il me faut le silence. La danse, oui, m’inspire, je fais des dessins à partir de chorégraphies.

 

Que penses-tu de l’évolution actuelle des arts plastiques, des expérimentations tous azimuts des jeunes artistes ?

SP : Les jeunes artistes veulent, avec des formes plus éclatées, plus multiples (vidéos, photos, installations) créer de nouveaux récits, ce que la peinture ne fait plus depuis Guernica ou les muralistes sud-américains. Il y a actuellement un dépassement de la tradition technique de la seule peinture ou sculpture. Personnellement je crois qu’on crée aussi avec ses limites, ses frustrations, même si on a toujours envie de faire ce qu’on ne fait pas, le peintre d’écrire, ou de sculpter, l’écrivain de peindre, le sculpteur d’être architecte et l’architecte d’être artiste : on cherche toujours l’au-delà de sa propre pratique. Dans la ligne du dessin, il y a quelque chose qui est proche de l’écriture, le noir et blanc et la ligne. L’expérience chinoise m’a beaucoup intéressé par ce rapport à la calligraphie, à la fois texte et peinture, le lavis d’encre… L’écriture et le dessin sont très liés chez eux, il n’y a pas eu de séparation. Pour moi, c’est une autre facette. Il y a aussi des peintures où j’écris un mot, une phrase, qui est souvent recouverte, comme un palimpseste. J’écris un mot dans la matière picturale sans le garder. Il y a bien un désir de nommer, par le mot, puisque la peinture ne nomme pas.

 

La création peut-elle être un lieu de résistance ?

SP : Oui dans la mesure où l’art civilise, et offre un art de vivre, une manière poétique et amoureuse « d’habiter le monde ». Je le crois profondément et c’est ce qui me fait peindre.

 

La peinture peut-elle faire avancer la société ?

En tout cas elle peut pacifier les esprits, amener un plus de civilité et de civilisation et maintenir l’humain dans le vivant. La peinture est une des rares pratiques humaines qui allient encore le corps et l’esprit, le geste et la réflexion, l’attention à la matière sensuelle du monde et un haut degré de pensée en acte.

 

 

Transcription et mise en forme faites par Teresa Assude et Michèle Monte

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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