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Professeure d'histoire à Marseille, historienne des femmes, auteure de plusieurs ouvrages d'érudition et de biographies, chevalier de la Légion d'honneur... quel a été votre parcours, Hélène Echinard ?

 

Quel genre de petite fille étiez vous ?

On ne passe pas de l'un à l'autre. Cela s'est conjugué un temps. J'étais déjà enseignante au Lycée Saint-Charles quand j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire des femmes à la fin des années 1980. Auparavant, je m'étais occupée de ma carrière de professeur, d'élever mes enfants, deux garçons qui n'avaient que deux ans d'écart. Ce n'était pas facile.

He : J'avais une grande sœur qui avait trois ans de plus, c'est elle, enfant, qui commandait ! J'ai quand même passé une enfance heureuse et lumineuse. J'étais très timide... mais révoltée. Quand il y avait une injustice - par exemple la copine avec le bonnet d'âne - je la défendais. C'était mon parcours de petite fille : mixte à la maternelle ; entre filles à l'école primaire. en dehors de l'école, j'avais plus de copains garçons, plus d'amitiés et meilleures qu'avec les filles. Plus tard, au lycée "de jeunes filles", je n'avais que des copines.
L'histoire ? Mes élèves, malléables, aussi un peu rebelles parfois, la voyaient du côté des hommes, pas des femmes ! Ou alors "la petite histoire", les maîtresses, les égéries ou même les empoisonneuses. Bref, c'était assez négatif.

À quel âge prend-on conscience d'une possible injustice entre garçons et filles ?

Je me suis dit que je pouvais faire quelque chose, aller dans les associations. Je me suis mise en "demi-service" pour concilier carrière professionnelle et bénévolat, pour publier.

He : Personnellement, je ne l'ai pas sentie. Au Lycée, j'ai toujours été la meilleure en version latine, la bonne copine. Les autres copiaient, ça circulait, le prof ne voyait rien. en maths, c'était pareil. J'étais en revanche révoltée contre le ridicule de la discipline, en particulier vestimentaire, mais la discrimination je ne l'ai pas sentie, ni au niveau professionnel, ni à l'université.
Certes, dans l'Éducation Nationale hommes et femmes ont le même salaire, mais si j'avais pris un congé pour les enfants par exemple, cela aurait pesé pour l'ancienneté ou les promotions. Mais le fait d'être femme ? C'est quand j'ai eu à mener mon ménage que j'en ai pris conscience. C'est quand j'ai commencé à travailler ; quand j'ai eu mes deux fils et l'agrégation entre temps.
Parti au service militaire, mon mari m'avait laissé la charge (technique) de la fin de sa thèse : les imprimeurs, la première de couverture. Je courais partout pour l'aider. il avait vingt-sept ans et il ne pouvait plus attendre pour faire le service. J'en avais par dessus la tête...
Après, tout est rentré dans l'ordre. si je n'avais pas été une femme, aurais-je eu moins de choses à faire ? Même si personnellement je n'ai pas ressenti d'injustice, cela ne m'a pas empêchée, comme dans mon enfance, de la ressentir pour les autres.
Quant aux parents, ma mère travaillait. elle s'est arrêtée de travailler quand elle s'est mariée. Pour ma mère et ma grand-mère, ce qui comptait, c'était de bien élever "les petites". elles ne se posaient pas de question, même au moment d'aller voter !

Le chemin vers l'histoire

H.e. : Au lycée Montgrand, j'ai connu des profs remarquables en histoire, philo, français. J'étais une fille de la banlieue. J'habitais au Canet. Pour aller au lycée, pour prendre le bus, je descendais en courant avec des talons aiguilles la Traverse de la Mère de Dieu très pentue. une amie corse de ma grand-mère lui disait : "j'ai entendu ta petite-fille qui descendait, je me suis signée et j'ai fait ma prière !".
J'adorais le français et l'histoire, je lisais déjà des monographies sur Napoléon alors que l'on n'en avait pas besoin pour le B.e.P.C. et par exemple en français, je savais Le Cid par cœur !
Comment ai-je choisi l'histoire ? En Propédeutique, je suivais toutes les options, je faisais du français avec Raymond Jean, de la philo et de l'histoire. Le jour de l'examen, j'ai choisi le sujet de "français historique".
Il y avait aussi l'espagnol qui me tentait, mais je suivais le cours d'un professeur qui aimait bien joindre le "geste" à la parole auprès des étudiantes : il faisait étudier La Célestine, une œuvre grivoise, et moi, sauvageonne, ça me dégoûtait.
J'ai reçu l'éducation "stricte" des jeunes filles et, quand il le fallait, je prenais l'air que me demandait de prendre maman lorsqu'on traversait le quartier Belsunce à Marseille : "Donnez-moi la main, petites. Marchez la tête haute et qu'on ne nous prenne pas pour ce que nous ne sommes pas !".
C'est une des raisons qui m'ont incitée à diriger l'ouvrage Marseille au féminin, le quartier Belsunce du Moyen Age à nos jours, pour essayer de contrer la mauvaise réputation qu'avaient les femmes de ce quartier.

Professeure d'histoire ou historienne ?

H.e. : Bien des personnes se disent historiennes mais elles sont polygraphes. Parallèlement tous les professeurs d'histoire ne deviennent pas historiens. il n'y a pas de diplôme qui estampille mais, n'empêche, je suis historienne parce que j'ai abordé l'histoire à l'université et d'ailleurs je lui rends hommage.
Dans ma formation, j'ai connu des historiens de talent, certains professeurs ont appartenu ensuite au Collège de France (Duby, Agulhon). Pierre Guiral, notre maître, qui nous a formés, était d'une probité extraordinaire mais n'a pas eu le renom de Georges Duby, le grand historien du Moyen Age qui fascinait ses étudiants et étudiantes (surtout) !
Georges Duby (1919-1996) a applaudi le dictionnaire ! il sera l'historien des femmes aux côtés de Michelle Perrot, mais il s'est "converti" tardivement. Pour le grand public, il restera l'historien du Temps des Cathédrales, il a été membre de l'Académie Française.
Pierre Guiral (1909-1996), né à Marseille, est moins connu du grand public, spécialiste, entre autres, de la presse du XiXe siècle (il avait choisi de me faire travailler sur "L'Alliance franco-russe à travers la revue des Deux-Mondes"), c'était un grand humaniste, très probe et très aimé de ses étudiants. Sa notice dans Wikipédia est "inspirée" de sa nécrologie signée par mon époux Pierre echinard et parue dans la revue Provence historique (fasc.183, T. 46, 1996, p. 141-143). ils étaient très proches.
Michel Vovelle, né en 1933, a été mon professeur à Aix au début de sa carrière continuée ensuite à la sorbonne, grand spécialiste de la révolution française et adepte de l'histoire des mentalités, il a signé la préface du 1er tome des Souvenirs de Julie Pellizzone en 1995.
Maurice Agulhon (1926-2014), lui aussi, a enseigné Aix, puis à la sorbonne. Analyste très fin et rigoureux des institutions républicaines, la maladie, à mon grand regret, l'a empêché de préfacer le 3e et dernier tome des Souvenirs en 2012.
Charles Carrière (1906-1986), spécialiste du commerce marseillais au Xviiie siècle, lui aussi d'une grande probité, dispensant un enseignement clair et rigoureux, mais toujours à l'écoute de ses étudiants, complète ce rapide tour d'horizon des historiens qui m'ont marquée et formée (aux côtés de quelques géographes, tous aussi remarquables).
Je n'ai cité que des hommes, je n'ai eu que deux professeurs femmes, en géographie (pour les T.P. de cartographie) et en histoire (archéologie médiévale), soit plutôt le côté "pratique" des disciplines.

Comment définir cette rigueur historique que vous revendiquez ?

H.e. : C'est exercer son esprit critique et questionner l'archive. C'est bien beau d'avoir une archive mais est-elle sincère ou pas ? Même dans l'état civil, il peut y avoir erreur, et d'abord une erreur de lecture. C'est pour cela que j'ai fait de la paléographie et étudié les écritures anciennes. en tant qu'historienne, j'avais besoin des sciences auxiliaires de l'histoire : j'ai fait de l'épigraphie latine, de la paléographie médiévale avec Duby et de la paléographie moderne avec Audisio, nécessaires pour les sources manuscrites et utiles aussi pour la généalogie.
La question est : comment bien transcrire ce qui est écrit, quitte à se dire que celui qui l'a transcrit s'est peut-être trompé ? C'est la démarche comparative, qui est aussi une démarche historique. Donc quand j'ai des sources, je les triture, je ne les recopie pas comme ça. voilà comment j'ai appris à travailler.

L'engagement est très présent : en faveur des femmes et d'une ville. Ces deux domaines sont-ils liés ?

H.e. : J'ai été formée à l'histoire et à la géographie pour enseigner. en ce qui concerne l'association "Les Femmes et la ville", elle a été créée en 1989, les statuts déposés en 1990. J'ai adhéré très vite lorsque mes amies sont venues me chercher parce qu'elles savaient que je travaillais sur Julie Pellizzone (1768-1837). ses manuscrits, titrés Souvenirs, je les ai eus en main en 1989.
La retranscription du 1er tome est sortie en 1995, le dernier fin 2012, soit un millier de pages que j'ai entièrement retranscrites, avec un travail d'annotation, effectué, lui, en grande partie par Pierre echinard et Georges Reynaud, historiens eux aussi. Le 1er tome a eu le Grand Prix historique de Provence 1996.
Bien sûr ce personnage tout à fait extraordinaire m'a marquée, avec plus de vingt ans de vie commune. il y a peu de témoignages tenus pendant aussi longtemps (25 ans, et même plus avec quelques retours dans le passé). il ne s'agit pas d'un journal intime (c'est ce que l'on dit souvent quand c'est une femme qui écrit), c'est une chronique qui décrit la vie à Marseille sous ses différents aspects, économiques, sociaux, politiques mais aussi artistiques (elle est fille de peintre) et urbanistiques, et qui n'oublie pas, dans la foule des acteurs de la vie quotidienne ou des grands moments historiques de cette époque troublée qui a vu passer tant de régimes, la place que les femmes ont tenue. Elle les voit quand les autres (la rare presse d'alors, les autres chroniques, rares elles aussi et écrites par des hommes) ne les voient pas. et ceci avec un souci d'exactitude historique comme si elle écrivait pour la postérité et une plume, à la fois classique et préromantique, au style alerte qui manie aussi bien l'emphase que l'humour, voire la dérision.
Le tout se lit comme un roman. voilà pourquoi, j'ai consacré autant d'années à la restitution et la publication de ce texte, pour qu'il reste un document consultable par tous afin de témoigner d'un quart de siècle d'histoire de Marseille analysé par une femme.

Mes amies historiennes à la Faculté avaient un projet de "prosopographie" intéressant qui a abouti à un dictionnaire biographique des Marseillaises, le premier du "genre", sans jeu de mots, en France. J'ai donc tout de suite participé à leur 1er colloque en 1991 où j'ai présenté mon travail sur Julie Pellizzone, dont j'avais déjà tapé les premiers chapitres. Même si je n'avais pas encore tout transcrit, j'avais tout lu et préparé un sommaire.
Notre association (l'AFv) est l'héritière du Centre d'études féminines de l'université de Provence (CeFuP), qui avait fini par se faire accepter par vovelle, Duby, etc. qui ne voyaient pas obligatoirement d'un bon œil qu'il se fasse quelque chose à Aix alors qu'à Toulouse allait bientôt se créer la revue Clio–Histoire, Femmes et Sociétés (aujourd'hui, Femmes, Genre, Histoire).

En quoi l'histoire des femmes croise-t-elle la question de l'espace, qu'il soit urbain ou non d'ailleurs ?

H.e. : La réponse n'est pas simple ! À Marseille au Xviième, où le territoire est grand, un certain nombre de femmes travaillaient dans les champs et étaient donc concernées paradoxalement par la ruralité ! L'impact du lieu de vie est net pour celles qui travaillent à l'usine. Mais s'est-on posé cette question : une femme qui va à l'usine au début du XXème peut venir d'Allauch (banlieue marseillaise) et prendre le tramway. Dans La Rue Courte de Thyde Monnier, l'héroïne Frisette vient faire des ménages à Marseille depuis Allauch.
Quittons Marseille. Prenons Alès. Certaines femmes vont travailler sur le carreau de la mine. À Gardanne aussi, même si elles ne descendent pas dans le puits. Peut-être habitent-elles la campagne ? Je ne suis pas certaine que la question ait été posée en terme d'opposition rural/ urbain.Vous pourriez dire que pour le travail à domicile, c'étaient forcément des ouvrières en chambre, donc à domicile.
eh bien non, pas automatiquement.
En Normandie, les marchands fabricants démarchaient dans les campagnes : soit il y avait un atelier sur place dans le village, soit on travaillait à domicile. un autre exemple, celui du père d'un ami d'enfance : dans les années 50, il distribuait du travail pour l'armée. il s'agissait de garnir les épaulettes. Les femmes avaient un emporte-pièce et de la feutrine, elles découpaient, cousaient avec la machine chez elles. elles étaient payées à la pièce.
Ces femmes pouvaient être des rurales ou des urbaines. Grâce à cet entretien, je prends conscience que la distinction rural/urbain est très floue.

 

Si l'on fait l'histoire des femmes, en quoi l'appartenance sociale
modifie-t-elle les questions ?

H.e. : Je pense que les questions restent les mêmes. Prenons la ferme. si la femme est propriétaire, elle va traire les vaches. Hormis pendant la guerre de 14, elle ne fera pas les labours, elle ne taillera pas les arbres, mais elle participera à la cueillette, elle s'occupera du potager, de la basse- cour ; elle préparera l'en-cas pour le mari qu'elle apportera en utilisant un moyen de transport ou à pied (le mari s'étant réservé le cheval ou l'âne) ; en plus, elle fera un travail d'appoint complémentaire : elle ira vendre au marché ou elle fera un travail de secteur secondaire de filature ou de couture, qu'elle soit à la ville ou à la campagne. Simplement son rayon d'action sera moins grand peut-être que celui d'une femme qui est en péri- urbain et qui va travailler à la ville. Ou que celle qui est à la ville, mal logée, et qui va travailler à la périphérie.

 

"Marseille, une ville au féminin", titrait la presse il y a quelques années...

H.e. : Je ne l'ai pas inventé ! On parle de Paris au masculin et de Marseille au féminin. André suarès compare le vieux-Port à un sexe de femme dont les 2 rives du Lacydon seraient les cuisses. il aime Marseille comme une femme, il l'injurie aussi. La légende veut que Marseille ait été fondée par deux personnes de sexe différent...

H.e.: Bien sûr, Gyptis, la princesse ligure et Prôtis, le marin grec, venu de Phocée en Asie Mineure. On peut ajouter aussi Nann, père de Gyptis, qui lui a dit sans doute qu'elle devait choisir le marin grec et Aristarchè, la prêtresse du temple d'Artémis d'ephèse à qui la déesse avait ordonné de s'embarquer avec les Grecs. Même avec 4 personnages fondateurs, il y a toujours parité. et si on ne tient pas compte de Nann, cela fait 2 femmes pour un homme et donc une double représentation féminine.

 

Comment naît l'idée d'un "Dictionnaire des Marseillaises" ?

H.e. : La 1ère édition est sortie en 1999. Cela faisait pratiquement 10 ans que l'association existait, et c'était le 26ème centenaire de la fondation de la ville. Nous étions alors 6 co-directrices et 70 contributeurs et contributrices.
Pour l'édition suivante nous avons sollicité une trentaine de collaborateurs supplémentaires. Certains auteurs ont révisé leurs notices, entre temps d'autres sont morts. Nous avons presque doublé le nombre de pages et de notices. si nous avons changé le titre pour que cela ne fasse pas doublon, l'esprit restait le même.
L'idée initiale d'Yvonne Knibiehler était une prosopographie : il s'agissait de prendre des noms, de les classer par ordre alphabétique et de rédiger les notices biographiques. On croisait le thème des femmes avec celui de Marseille, notre ville. On aurait très bien pu prendre la Provence. Antoinette Fouque, de son côté, a consacré sa vie au Dictionnaire mondial des créatrices et y a fait figurer des femmes encore vivantes.

Le dictionnaire

Tout dictionnaire, toute prosopographie, impliquent des choix...

H.e. : Le choix que nous avons fait ensemble me convient tout à fait. Nous sommes parties du principe que n'apparaîtraient que des personnes décédées, donc des parcours achevés. Qu'elles devraient avoir connu une trajectoire, avoir fait quelque chose et qu'elles ne se soient pas simplement contentées d'exister. Bref, elles ne sont pas là seulement parce qu'elles sont femmes !
Il ne fallait pas non plus qu'il n'y ait que des femmes illustres dans ce dictionnaire. On pouvait retenir des personnes qui n'avaient pas "tenu le haut du pavé", mais avaient rempli leur mission ; qui avaient incarné quelque chose. Aussi y a-t-il Madame de sévigné avec son séjour marseillais, Louise Michel qui n'a pas été qu'une simple passante puisqu'elle est morte à Marseille.
Celles qui manquent sont souvent celles pour lesquelles on a trop peu de documents pour "ouvrir" une notice. Pour elles, nous avons opté pour des notices collectives : les poissonnières, les bugadières (lavandières), les santonnières. (Magdeleine Guinde a en revanche sa notice. sa collection de santons est au musée de Château Gombert.) Les corailleuses aussi ont leur notice : de génération en génération, ces femmes se passaient le relai de ce métier bien particulier et emblématique du savoir-faire local. À défaut, on doit retrouver des descendants et chercher des témoignages. Raconter la vie de ces femmes de manière romancée n'est pas possible. exercer (élections municipales). Pour le soixantième anniversaire du vrai suffrage universel, mon travail précédent avec mes élèves a contribué à monter une grande manifestation commémorative orchestrée par "Les Femmes et la ville" et la municipalité.

 

Femmes de la Résistance

H.e. J'ai fait la notice de Lucia Tichadou et d'un certain nombre de résistantes. Bien avant elles, déjà, il y avait eu les " Dames du siège" de 1524, dont un Boulevard porte le nom. Je n'ai pas fait leur notice dans le Dictionnaire, mais elles ont leur carte dans mon jeu des 7 familles, deux panneaux dans mon exposition "Promenade citoyenne" et j'ai écrit sur elles dans Le Panthéon des femmes, images et représentations des héroïnes.
Pour les résistantes dont j'ai rédigé les notices, j'en citerai deux : Carmen Buatell-Costa et Éliane Plewman, toutes deux étrangères, bien que la seconde soit née à Marseille. Leur destin est éclairant. La première est une Catalane. Pour échapper à Franco, elle se réfugie à Marseille où elle se marie, résiste, s'alphabétise en prison lors de sa détention en France ; elle survivra à l'enfer de Ravensbrück.
L'autre a eu moins de chance : parachutée en France, en 1943, pour le service spécial sOe monté par Churchill, elle s'active à Marseille, mais trahie, elle est arrêtée en mars 1944 et exécutée à Dachau le 13 septembre 1944. elle avait 26 ans !

 

Vous vous êtes occupée de 500 femmes. Comment s'est fait le choix ?

H.e : Pour la première édition, nous travaillions en binôme. Chacune allait à la pêche, puis on se retrouvait en colloque avec des invités pour traiter de certains thèmes. À l'issue de ces réunions, certains noms étaient retenus. Nous étions donc une petite équipe de pilotage. Pour la seconde édition, Renée Dray-Bensousan centralisait le tout, mais la correction et l'harmonisation sont restées collégiales ; nous étions 4 au lieu de 6.
Les affinités jouaient bien entendu leur rôle. J'ai fait plusieurs notices sur les sportives car j'avais travaillé le sujet pour la famille du même nom dans mon jeu des 7 familles : "Femmes de Marseille des origines
à nos jours".

 

Les femmes et le politique

H.e. : Oui, j'ai aussi travaillé sur les premières femmes élues en politique. Je m'en étais déjà préoccupée avec mes élèves pour le cinquantenaire du suffrage universel. Mes élèves interrogeaient alors leurs grand-mères. Nous avons récolté au total une bonne centaine de témoignages. Si les Françaises ont obtenu les droits civiques le 21 avril 1944 par l'Ordonnance d'Alger, il leur a fallu attendre le 29 avril 1945 pour les
J'ai remonté sa trace grâce à une plaque commémorative au 8 rue Mérentié, retrouvé son neveu, toujours marseillais. elle a maintenant une rue à son nom dans sa ville natale. retracer des parcours aussi exemplaires et faire connaître ces engagements pour la défense des libertés et l'avenir de l'humanité, plus qu'un mobile, c'est une motivation, une mission même.

 

Quelle place faire dans un dictionnaire aux questions soulevées par le mouvement féministe ? Sont-elles réservées à des histoires spécialisées ?

H.e : Non. On pense aux études sur le genre, bien sûr... Mais dans le dictionnaire, on ne trouve pas certaines figures locales ou nationales voire internationales du féminisme, tout simplement parce qu'elles sont, heureusement pour elles, encore en vie, par exemple pour le planning familial Annette Guidi, que je connaissais avant, ou encore Claire ricciardi. La plus célèbre Antoinette Fouque, née à Marseille, est décédée juste après la parution du livre et ne figure donc pas.
En revanche, les premières féministes qui passent à Marseille sont citées. Les saint-simoniennes y sont, car je les ai rencontrées à l'occasion de diverses études, elles avaient intrigué Julie Pellizzone en 1833. C'est ainsi aussi que j'ai ajouté les Égyptiennes, massacrées en 1815 lors de la Terreur blanche à Marseille, victimes de leur fidélité à Napoléon, actes barbares dénoncés par Julie Pellizzone, pourtant monarchiste. Pour Ludmilla Tchérina, la danseuse qui me fascinait quand j'étais gamine, j'ai voulu faire moi-même sa notice.

 

Quel équilibre créer au sein d'un tel ouvrage ?

[L'index thématique, très complet, propose des regroupements tels que "femmes d'église", "dames d'œuvres, actrices du social", "mécènes et créatrices de sociabilité", "monde du spectacle", etc.]

H.e. : Nous avons ce regret de ne pas avoir assez équilibré les périodes, ce qui apparaît dans l'index chronologique. L'index thématique révèle aussi d'énormes différences entre certaines femmes qui ont une activité protéiforme et celles qui n'ont qu'une spécialité ! si vous prenez une personne comme Germaine Poinso-Chapuis, elle sera avocate, journaliste, dame d'œuvre, résistante et femme politique (première Française à avoir été ministre). elle est citée cinq fois au moins dans l'index. Quand un nom revient, on perçoit que certaines femmes ont des activités multiples.

Avez-vous parmi toutes ces femmes des personnages favoris ?

H.e. : Oui, je pense à Diddie vlasto (1903-1985), championne de tennis qui a été éclipsée par Suzanne Lenglen.
Là encore, mais c'était pour un article récent de la revue Marseille "La passion du sport" (une question de place), il a fallu se battre ! Un autre exemple, une femme peintre : Fernande de Mertens (1850-1924) que j'ai aussi récemment évoquée dans "Peintres de Marseille" (revue Marseille). Ayant fait la notice (avec Danièle Giraudy) de Mafalda Jourdan (1862-1934), ayant cherché des illustrations, voilà que son arrière-petite fille m'envoie par l'internet la reproduction d'un magnifique tableau dont elle me dit "je suis désolée, je n'ai qu'une copie".
Elle ne savait pas qu'elle avait un original signé par Fernande de Mertens dont je faisais également la notice que j'ai pu ainsi enrichir. De même que pour l'illustration Cris de Marseille dont quelqu'un est venu nous dire : "vous n'avez pas dit qu'ils étaient de mon père !" L'œuvre venait du Musée de Château-Gombert et n'était pas signée.

 

Les historiennes écrivent-elle une autre histoire que leurs collègues masculins ?

H.e. : Peut-être vont-elles se poser des questions différentes, par exemple celle du genre ?
Mais toutes ne s'appellent pas Michelle Perrot. Je ne pense pas qu'il y ait une écriture (scientifique) féminine.
et même s'il y avait une écriture féminine, des personnes comme moi, qui ont une démarche historienne, font attention à ne pas oublier les femmes, mais nous restons dans notre sujet. Nous ne faisons pas de différence.

Quelle est la part du littéraire dans l'écriture d'un ouvrage comme le Dictionnaire ?

H.e. : Pour moi, rien n'est romancé. On peut s'autoriser des descriptions physiques certes. Pour Julie Pellizzone, j'avais des portraits et tout était dans les yeux, l'expression, l'esprit qu'elle avait. Mais pour elle, comme pour les autres, je n'ai rien voulu dire que je ne connaissais pas. À la limite même, je suis restée en-deçà de ce qu'elle a pu écrire dans d'autres manuscrits que j'avais lus mais que des descendants ont retirés des archives publiables. J'y ai fait simplement allusion, en disant qu'elle explique certaines choses ailleurs que dans ses Souvenirs.
J'aurais pu faire un roman, changer le nom de Julie, mais mes scrupules d'historienne me poussent à ne pas recomposer le passé. J'ai trop peur de dire des choses qui ne sont pas fondées. J'essaie de ne pas mettre de piquant dans le fond, même si je me permets d'en glisser parfois dans la forme.
(Cet entretien a été réalisé par Arlette Anave, Jeannine Anziani et Miche Neumayer. Merci à Olivier Blache et Monique d'Amore pour leur aide).

 

Ouvrages d'Hélène Echinard Bibliographie non exhaustive

Souvenirs, journal d'une Marseillaise, de Julie Pellizzone
Transcription Hélène Echinard, collaboration de Pierre Echinard et de Georges Reynaud,
t. I, (1787-1815), préface de Michel Vovelle, 1995, Grand Prix Historique de Provence, 1996 ; t. II, 2001 (1815-1824), préface de Guillaume de Bertier de Sauvigny ; t. III (1824- 1836), 2012 ; tous dans une coédition des Presses Universitaires de Provence et d'Indigo & Côté-Femmes (Paris), Diffusion l'Harmattan.

Marseillaises, vingt-six siècles d'Histoire
Direction Renée Dray-Bensousan, Hélène Échinard, Régine Goutalier, Catherine Marand- Fouquet, Éliane Richard, Huguette Vidalou-Latreille, dictionnaire biographique, Prix Maréchal de Villars de l'Académie de Marseille et Prix Historique de Provence, AVF, Edisud, Aix-en-Provence, 1999.

Femmes entre ombre et lumière, recherches sur la visibilité sociale (XVIe-XXe siècles)
Collectif, Publisud, 2000, contribution d'Hélène Echinard. "La presse quotidienne marseillaise et la citoyenneté des femmes (août 1944-avril 1945)".

"Le Panthéon des femmes, Figures et représentations des héroïnes"
Collectif, collection L'Europe au fil des siècles, Publisud, Paris, 2004, contribution d'Hélène Echinard "Les Dames du siège de Marseille (1524)" ;

Marseille au Féminin, le quartier Belsunce du Moyen Age à nos jours - Direction Hélène Echinard, AVF, Autres Temps, Gémenos, 2006.
Femmes de Marseille des origines à nos jours

Jeu des 7 familles créé par Hélène Échinard, édité par l'Association les Femmes et la Ville et le Forum Femmes Méditerranée, 2007.

Dictionnaire des Marseillaises
Direction Renée Dray-Bensousan (coordinatrice), Hélène Échinard, Catherine Marand- Fouquet, Éliane Richard, AVF, Gaussen, Marseille, 2012.

La Place des femmes dans la cité
Collectif, collection Penser le genre, Publications de l'Université de Provence, 2012, contribution d'Hélène Echinard "Promenade citoyenne, une mise en mémoire de l'action des Marseillaises dans la cité".
Infirmière en 1914, journal d'une volontaire (31 juillet- 14 octobre 1914), de Lucia Tichadou, transcription intégrale et présentation. Éditions Gaussen, Marseille, 2014.