Notre meilleur ami, notre
plus fidèle prison, notre interface au monde, en un mot : notre corps,
sera ici le sujet élu. Il est possible de le considérer de mille
manières, dessus et dessous ; dedans et dehors ; avant et après, du
spirituel au matériel et réciproquement.
L’examen butte d'emblée sur
cette barrière souple et protectrice, la peau ! Elle résiste aux
égratignures, écorchures, griffures, et se souvient des caresses, des
baisers. Elle vit, mais ses transformations nous échappent le plus
souvent, comme nous échappe le mystère de cette enveloppe qui grandit en
même temps que nous, qui est soumise à l'entropie et pourtant garde la
mémoire de notre mêmeté.
La tentation est grande
d'assimiler cette surface finie à une page. Tatouages voulus ou subis,
cicatrices, rides, blessures visibles ou secrètes, autant d'écritures
insolites, à même la peau. Chacune de ces traces engendre une histoire,
est le support d'un souvenir. Celle-ci a suscité la honte et le désir
d'effacement ; celle-là est portée avec fierté ; telle autre restera à
jamais invisible, sauf aux yeux intimes.
À l'œil exercé de qui sait
lire l'ancien sous le nouveau, le corps révèle toutes les chroniques du
monde : la naissance, la maladie, la pureté, le déclin, le devenir, les
strates du temps, les ancêtres, le visage, le paysage, l'injustice, la
limite, l'affolement, la fragilité, les empreintes, la peur, la
résignation, le langage, le foudroiement, les étapes de la vie…
Ces métamorphoses remontent
à la surface, se donnent à lire dans l'épaisseur. Mais seul celui qui a
éprouvé la meurtrissure dans sa chair en connaît le poids et sa voix est
comme un appel.
Qu'avions-nous donc à
prouver pour faire ainsi corps avec notre corps et nous considérer comme
des parchemins ? Cette métaphore a-t-elle ouvert sur l'écriture ?
Avons-nous décelé une identité ancienne ou toute nouvelle ? Pour chacun
des auteurs, les couches discrètes du texte ont-elles transparu en
filigrane ?
Il reste au lecteur à le
discerner.
Odette et Michel Neumayer
Carnoux, le 21 juin 2009