Allumer son ordi (une minute en moyenne, mot de passe compris).
Les icônes s'affichent, les dossiers s'ouvrent. Où est-il ? Sur
le bureau bien sûr, oui mais où dans ce fatras de fichiers ? Trois
photos du petit dernier. Un bout de film récupéré sur You Tube. Le
mode d'emploi du vélo d'intérieur. La thèse de X. La pétition à
tirer sur papier et à faire circuler. Le supplément littéraire du
Monde d'hier en PDF. Un début d'article pour C, en déshérence. Le
dossier "Éditos de Fili", surligné en jaune. Où est-il ce poème reçu
hier que je veux lire, que j'ai mis de côté car justement j'y tiens.
Je veux le savourer. Je m'interroge sur la lecture de poésie sur
écran. Je veux me mettre à l'épreuve. Suis-je prêt ? Je le trouve
enfin, je lance le traitement de texte. La page s'affiche soudain.
Irruption brutale de mots. Une impression visuelle immédiate. Une
présentation que j'aime ou non. Une police. Ce n'est pas celle que
j'aurais choisie. Commencer par le début. Souris ! (5 minutes).
De
ces deux sites que je fréquente assez régulièrement (Poézibao et
remue.net), je retire une impression de grand foisonnement, de
variété et de liberté. Chaque clic est une clé. Écriture plurielle,
multiple, plurale me souffle mon dictionnaire. Lecture aléatoire,
possible, incertaine. Ne pas céder au zapping. Prendre le temps. Je
dois me morigéner. Je m'engage. Je tiens bon. Sans Internet, je
n'aurais jamais eu accès à ce texte. Sans Internet, j'en aurais
ignoré jusqu'à l'existence. Sans Internet je n'aurais peut-être pas
acheté le recueil. Sans Internet, j'aurais pensé, à tort bien
entendu, qu'il vaut mieux lire Jaccottet, Perse, Rilke, Celan,
poésie Gallimard. Je lis Dupont, Durand, Martin, Martinet, Marteau,
Merleau pas Ponti.
Ce
sont hommes et femmes du commun à l'ouvrage. Ce sont nos pairs. Ils
cherchent comme nous à donner forme à l'expérience, à la vie. Ils
bricolent des formes. Ils peaufinent. Ils coupent. Ils collent. Ils
ravaudent. Ils sont des milliers. Ils ont été retenus, choisis et
mis en ligne par d'autres qui plaident pour une littérature d'accès
libre, des recherches qui se donnent à voir, autant d'antichambres
de livres à venir dont quelques-uns seulement verront le jour sous
la forme d'un recueil édité de manière subtile, artisanale,
confidentielle chez un éditeur de la France profonde, celle qu'on
découvre quand on quitte enfin les autoroutes.
Paradoxes, nostalgie, une pointe de regret. J'aurais aimé sentir
sous le doigt le grain du papier. J'aurais voulu prendre le recueil
dans mon sac et me serais installé sur la terrasse, le fauteuil, le
lit. J'aurais voulu sentir le poids, évaluer le nombre de pages,
feuilleter dans tous les sens."
Michel Neumayer