"Depuis longtemps, je tricote
l'écriture et la psychanalyse,
je tiens les deux fils. Entre oubli
et retrouvailles, je m'énerve."
A.A.

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Cursives 83
"Ouvrir la porte... "
Un entretien avec Arlette ANAVE
analyste et auteur

"Qu'on dise reste oublié
derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend."
Lacan affirme cela dans
L'Étourdit (1972).
Voilà qui résume bien la tension que je ressens
et les temps de l'une à l'autre.

 

 

 

 

 

Sachant ton intérêt pour l'écriture et la psychanalyse
nous t'avons proposé cet entretien pour Cursives
et tu nous dis que cette demande t'a perturbée…

AA : C'est vrai, cela m'a obligée à faire retour sur cette question toujours en suspens, mais aussi sur des périodes de ma vie dont je n'ai pas fait le deuil. L'hôpital psychiatrique par exemple où j'ai travaillé plus de trente ans et où j'ai dû me battre pour la psychanalyse. Il a fallu convaincre les équipes, les patients et l'administration.
Écrire aussi dans les associations d'analystes sur la clinique et sur ma pratique de psychologue, qui à ce moment-là se construisaient en référence à la psychanalyse.
Écrire dans les ateliers d'écriture que j'animais à l'hôpital, je vous en ai parlé.
Tout cela était stimulant, intéressant, je n'en n'ai pas encore fini, c'est encore là, pas oublié mais pas actuel non plus. C'est de devoir y revenir qui m'a troublée.

 

Quand as-tu découvert l'écriture ?
Tu nous as dit que tu écrivais déjà très tôt.

AA : En fait, je me destinais plutôt aux Lettres. Dix huit en français au bac cela vous marque dans ce sens. Mais je ne voulais pas être professeur et puis la philosophie ne m'a pas convaincue, j'étais hypercritique, je voulais être indépendante et gagner ma vie. Je me suis dirigée vers la psychologie, puis vers la clinique, mais toujours avec l'idée que j'y reviendrais.
C'est comme ça le désir, ça traverse, on croit, on découvre, on retrouve.
Il y a des choses qui restent même longtemps hors de vous, un nouveau regard peut se découvrir en écrivant.
Il y a comme ça des éléments que j'ai retrouvés par l'écriture, mon expérience de psychologue d'enfants.
Je l'avais "oubliée", mais c'est la première chose que j'ai évoquée dans l'écrit que j'ai produit à la sélection du D.U. (Diplôme Universitaire) d'animation aux ateliers d'écriture, à d'Aix-en-Provence, trente ans après !
C'est mystérieux ce "tricotage", c'est plutôt de carrefour que je devrais parler.

 

Les pratiques d'écriture…


Bon, votre question. Oui, ma première pratique d'écriture, disons professionnelle, c'était à l'hôpital : j'animais des ateliers de poésie. Il faut restituer le contexte.
Nous, je dis bien nous, ne voulions pas supprimer la maladie, nous voulions plutôt la faire fleurir, "Cent fleurs" nous faisaient signe
Et nos modèles, c'étaient les psychiatres de l'après guerre, ceux qui avaient accueillis des résistants comme Tosquelles et Bonnafé, ceux qui voulaient abattre les murs de l'asile comme Gentis, Copper et Basaglia, nos références c'étaient, en dehors de Freud et Lacan bien sûr, Deligny, Deleuze, Guattari, Foucault.
Je ne saurais les citer tous, mais ce que je veux dire c'est que faire de la poésie n'avait rien d'original.
Ce n'était pas l'"injection culturelle" à la place du médicament comme cela se fait aujourd'hui.
J'ai d'ailleurs commencé avec l'équipe de Tosquelles (fils) avec qui je travaillais aussi et puis j'ai fait mon propre atelier par la suite avec les stagiaires et certains infirmiers qui ont même pris ma suite quand je suis retournée à mon rôle de psychothérapeute.

 

Comment procédais-tu ?

AA : Eh bien, il y avait un temps pour l'atelier, il durait environ une heure trente.
C'était un temps hebdomadaire et prévu, toujours à la même heure, le même jour. Il n'y avait pas de prescription, mais les infirmiers savaient qui était là parce qu'untel avait dit le matin à la réunion quotidienne qu'il voulait venir.
J'étalais les livres sur la table, on en avait beaucoup, on allait les choisir en librairie avec les personnes intéressées, j'ai amené certains des miens. Il y avait un quart d'heure de lecture silencieuse d'une page choisie dans un des bouquins, puis lecture de chacun, enfin travail de groupe. Cela allait du panier de mots, à la lettre imaginaire, au cadavre exquis, etc. ou bien une contrainte formelle adaptée de l'OULIPO, puis un temps d'écriture personnelle. Le principe étant de faire résonner la lecture silencieuse et la relative dispersion du choix des mots, de la voix, des paroles entendues, de celle qu'on veut faire entendre.
Chacun lisait son texte. Il est arrivé que je lise le texte de quelqu'un qui ne pouvait pas le faire.
On ne traitait pas le texte, on n'en parlait pas, il n'y avait aucune interprétation, ni digression à son sujet.
Chacun pouvait repartir avec mais en général il le laissait. Chaque atelier avait sa vie propre dans l'institution.
Il y avait aussi des arts plastiques, du cinéma, de la photo, de l'opéra, cela communiquait, mais sur des expériences différentes.
J'ai dit que j'étais retournée à la psychothérapie, c'est vrai l'"organisation" hospitalière a pris le pas sur moi.
Elle aime bien que les statuts soient clairs, indubitablement c'était mon travail avec la psychanalyse qui primait, j'ai laissé l'atelier.

 

Qu'écrivais-tu en parallèle ?

AA : Une autre scène. Les analystes sont passionnés par l'écriture, alors j'y suis revenue par là.
Les associations d'analystes produisent un tas de revues assez éloignées de la nôtre, puisque on n'y fait pas de la poésie, mais on écrit beaucoup sur l'art et sur les écrivains. Lacan a donné le nom de Joyce, le symptôme à un de ses séminaires, et donné le titre d'Écrits à son œuvre. Il s'interroge sur l'Instance de la Lettre dont il fait un chapitre entier, sans oublier celui qu'il consacre à La Lettre volée d'Edgar Poe. Quant à Freud, il intègre Léonard de Vinci, Jansen et bien d'autres.
Je cite pour mémoire, mais c'est très modestement que j'ai écrit dans ce cadre : on préparait un texte pour une conférence et puis c'était publié dans la revue.
Là encore, je me suis surprise à scruter la langue de Michaux, la peinture de Bacon, les fresques de G. Caccavale, un peintre du Cirva (Centre International de recherche sur le verre et les Arts plastiques).
Ailleurs, j'écrivais pour des expositions, mes amies étaient souvent des peintres.
Dans la psychanalyse, il y a une espèce de contrainte morale à écrire sur sa pratique car l'écoute immédiate de quelqu'un doit être reprise, comme réécoutée autrement, parlée à d'autres, redécouverte. J'ai écrit aussi dans ce cadre.

 

Lacan

AA : Lacan et les psychanalystes ont posé un regard neuf sur tout ça. J'ai cité au début une phrase de lui pour insister sur ce qui est important pour nous dans le langage.
Cette interjection : "Qu'on dise" qui débute sa phrase, dit bien qu'il y a du mouvement et du désir dans le langage, que ce n'est pas une langue morte sous prétexte que du passé ou de l'oublié gît en elle.
Lacan fait la différence entre énoncé et énonciation en ce sens qu'il y a dans l'énonciation un branchement du langage au corps et au désir.
La poésie est le témoignage le plus direct de cette différence. Même pour ceux qui se sont exercés à faire disparaître toute émotion de leurs énoncés, je pense à Brecht, à Perec ou au Nouveau Roman, il y ce "je" qui parle ou qui encombre, ce qui est la même chose.
"Qu'on dise", ce n'est pas "qu'il dit" ou même "je dis que". C'est l'autre qui est évoqué, l'autre du message, l'adresse, le temps du sujet.
Dans le langage, on oublie cette adresse, mais on peut l'entendre parce qu'elle a fait trace, déposée dans la langue, à notre insu. Pas oubliée donc.

 

La parole, l'oubli…

AA : L'oubli fait parler. Cela agace bien les idéologues d'aujourd'hui qui voudraient bien se débarrasser du passé, de la complexité du vécu et du père à l'occasion.
C'est pesant un père ! Le mien m'a fait boire Victor Hugo au biberon, lui-même était un poème et je suis la preuve de cet oubli. La poésie ne s'apprend pas, elle travaille avec l'oubli, comme la psychanalyse d'ailleurs.
Mais enfin l'époque est à la simplification, tout cela prend du temps et les neurosciences sont là pour rassurer le bonhomme et lui ôter l'idée que pour parler, pour écrire il faut du désir. Quelques neurones s'il vous plait…

 

Qui de Freud ou des Surréalistes ont influencé Lacan ?

AA : Lacan ne se réclame que de Freud. Par contre, il connaît Platon, Descartes et Merleau-Ponty par cœur, il dialogue avec les philosophes. Mais sa façon d'aborder les questions du début du vingtième siècle, par exemple la question du sens, n'est sans doute pas la même. On peut dire que chaque courant de pensée traite cette question différemment, mais tous mettent le sens en question à cette période précisément.
Les Surréalistes la font éclater, les philosophes analysent construction et déconstruction, je pense surtout à Derrida. Lacan lui, l'inscrit dans la dimension de l'Imaginaire à côté des autres dimensions du psychisme : le Réel et le Symbolique.
Pour répondre à la question, c'est moins une influence qu'une recherche avec des branches qui ne s'excluent pas pour autant.
Sûr, il y a eu des guerres et des meurtres dans ces mouvements et se passer du sens…
Pourtant, on ne peut pas dire que la découverte de l'inconscient n'y soit pas pour quelque chose. Mais Lacan a mis le sens du côté de l'idéal donc de l'Imaginaire, il ne le supprime pas, il le met en fonction.
C'est un peu compliqué de l'expliquer en deux mots.

 

Comment construire ensemble des savoirs nouveaux à ce sujet ?


AA : Il y aurait du travail pour un cartel sur l'écriture. Un cartel, c'est une structure qui est inventée par Lacan pour éviter l'effet de "colle" du groupe de travail. Il est constitué par quatre personnes qui en choisissent une cinquième appelée "plus un".
La colle, ça pourrait être la projection ou la contamination, ce qui fait bla bla bla ou mélasse des "ego". Le cartel a une durée limitée à un ou deux ans maxi.
Cette figure est censée parer aux effets de groupe. Du moins, en psychanalyse.

Qui est le cinquième personnage ?
AA : Il est celui qui fait fonctionner le groupe, peut-être pour empêcher le personnage. Il est supposé en savoir un peu plus sur le sujet qui doit ouvrir sur des écrits. Il est choisi, invité. Il représente l'étincelle qui facilite ou pas la production des textes.

 

D'ou viendrait qu'il est supposé savoir ?
Quelle serait son expertise ?

AA : Il n'en n'a aucune. Il fonctionne dans le "comme s'il savait", dans le semblant. Ce savoir lui est supposé et c'est souvent la raison du choix, mais cela peut être un artiste, donc ce savoir n'est pas ordinaire.
Se soigner par l'écriture ? Quand Rilke allait mal, Lou Andréa Salomé pensait qu'il aurait besoin d'une analyse. Il a toujours refusé pensant que cela tuerait son écriture. Cela l'a tué, mais sans qu'il ait fait d'analyse. C'est une appréhension fréquente que celle du rôle destructeur de la psychanalyse sur l'écriture.
AA : Qu'il s'agisse d'écrivains comme Rilke ou Lou Andréa Salomé ou de n'importe qui, une règle : une analyse ne se prescrit pas. Personne ne peut parler de ton désir à ta place.
C'est ton propre texte, c'est toi le traducteur, toi qui croit et aussi croit savoir.

 

Habiter un texte…

AA : C'est complexe cette habitation. Elle relève de l'énonciation et du corps.
Je vais prendre un exemple, c'est celui d'une phrase d'un patient schizophrène : dans la nuit noire de son délire, il me dit que "la schizophrénie est une lampe pour la vérité".
Cet énoncé ne s'adressait pas à moi, mais ce patient me parlait. Lui, il habitait son texte, moi, je le portais comme le secrétaire qui consigne ce dire.
Qu'il s'agisse d'oral ou d'écrit, il faut habiter un texte pour être entendu. Habiter, c'est injecter un peu d' "étant". Cela le fait exister le texte. C'est un peu Heideggérien !!

 

Porter un texte c'est aussi y croire.

AA : La psychanalyse, ça fonctionne au transfert, c'est à dire à la croyance. On croit en soi, à ce qu'on dit.
En écriture c'est pareil, c'est parce qu'on croit à son propre texte qu'on peut le dire et l'habiter.
Mais l'entendre, c'est autre chose, il y a du mal-entendu parce qu'il y a de l'autre et c'est pourquoi le langage de Lacan n'est pas celui des linguistes.
S'il n'y avait que métaphores, métonymies, phonèmes, etc. sans cette habitation du langage, il n'y aurait que "linguisterie". C'est un néologisme qu'il a créé pour expliquer ça.
La langue, il ne suffit pas de l'apprendre, c'est elle qui vous apprend, il faut l'user. Enfin, c'est ce que m'évoque "habiter un texte".
Alors comme le sujet désirant est aussi ingénieux, quand il ne peut user d'une métaphore, il trouve une suppléance. Une sorte de traitement, pour reprendre l'exemple de Rilke.
Tout cela pour dire que la subjectivité est engagée dans la langue autant que sa structure qui nous vient de l'autre. Et c'est une autre façon, insatisfaisante je m'en excuse auprès de ceux qui m'ont posé la question, de dire que "l'inconscient est structuré comme un langage".

 

Parlons de tes propres textes.
Comment se fait-il que tu les habites avec autant d'évidence ?
On a le sentiment que tu pousses la porte et que tu entres.

AA : Un pousse à la poésie ? On n'y entre pas si facilement, on résiste à son propre texte. Il s'agit d'ouvrir une porte qui a été fermée, pas pour rien. Je vous ai parlé de mes allers et retours.
Quand j'ai rencontré Filigranes, c'était une écriture en attente, imprécise mais déjà là. J'ai écrit qu'il était temps. Que j'étais comme un marin d'eau douce à humer le vent avec mon doigt.
J'ai mis les voiles vers votre chaleureux point d'accueil, cette revue que j'ai rejointe et dont j'ai ouvert la porte comme "poussée" par la poésie, parce que la porte universitaire du D.U. d'écriture ne m'appelait pas vraiment.
Était-ce une folie ? Quand tu pousses la porte, tu as tout ça dans la tête. Je l'avais d'autant plus fort que je me posais cette question-là.
Tout le monde a son style. Ça ne peut pas se résumer à la formule :"Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée." Habiter son texte renvoie à celui qui écrit, mais aussi à celui qui écoute, "à ce qui s'entend".

 

On sens comme une profondeur dans ce que tu écris,
quelque chose qui nous parle, qui recèle du savoir…

AA : Il n'y a pas de profondeur à la parole. Ce n'est pas verticalement qu'on parle, du fond de son inconscient par exemple, c'est plutôt une surface commune dans laquelle une coupure s'opère. On pense qu'il y a quelque chose derrière, caché, à découvrir, à révéler. C'est ce qui fait la curiosité et qu'on ouvre la porte, qu'on continue à parler et à écrire.
C'est parce qu'aucune surface n'est accessible, qu'il n'y a pas de communication d'inconscient à inconscient par exemple, Lacan dit "Il n'y a pas de rapport sexuel", il n'y a pas de profondeur.
Pourtant il y a des différences, des gens qu'on écoute plus facilement que d'autres, c'est dans le style, la manière d'aborder un texte. Ce que vous devez sentir dans ma façon d'habiter un texte, c'est tout ce qui s'est passé pour moi en ouvrant la porte.
J'ai trouvé avec vous une conviction, une énergie, la force de laisser au vestiaire de vieilles peurs, rancœurs et autres humeurs, d'aller gambader sur mes propres chemins en m'appuyant sur mon stylo et rien
d'autre.
Il est probable que c'est cela que vous avez pu entendre, cette coupure que j'ai voulu faire. J'ai rejoint "cette bande d'étourneaux", c'est bien ainsi que vous nous avez qualifiés, Michel et toi dans votre recueil : Saisons d'émancipation, qui n'attendent qu'un signe de l'autre...

 

Du rouge dans le paysage ?

AA : Il y a aussi cet appel, car le paysage n'a pas dit son dernier mot. Ce qui m'intéresse dans Filigranes, c'est qu'il y a du paysage, du paysage des origines, mais aussi du rouge, c'est à dire la question politique qui a agité toute ma vie jusqu'ici. Ce qui nous rapproche est ce que je viens chercher. Le rouge y a pris sa vraie couleur.
Mais, il n'y a pas que le rouge. Il y a l'amour, l'amitié. J'ai eu des amies très chères avec qui j'ai écrit, des amies peintres. J'ai fait deux recueils de poésie dont un avec Patricia Camacho, une de ces amies que je ne vois plus aujourd'hui. On a labouré la colline de nos godasses, de mes stylos, de ses crayons, de ses photos. C'était des dialogues à deux voix, peinture, écriture. On en a fait un recueil non édité. C'était des petits textes sur Pastré, la Sainte Victoire, le Parc Borély, tous les lieux où l'on marchait. J'ai rassemblé aussi d'autres petits textes dans un autre recueil, Avril comme il vient.
Je n'écrirais peut-être plus comme ça, mais je n'en suis pas sûre, je les reconnais bien, c'est le temps qui n'est plus là. J'écris autre chose : un papier sur mon patronyme dans mon école de psychanalyse l'an dernier et puis pour Filigranes. J'ai pas mal abordé la question du judaïsme aussi.

 

L'écriture est-elle une revanche, un dépassement,
un contrefeu à l'engagement ?
Tu as écrit à partir du travail de Christian Boltanski
qui renvoie à l'épreuve des camps de la mort…

AA : Le texte commence quand les fantasmes tombent. C'est le trajet des fantasmes, tu es habité par des fantômes et tu vois se construire ton fantasme derrière ce que tu écris. Le fantasme, c'est par exemple l'origine, la formule que tu as déduit de ce que tu as vécu. Tout le monde fait ainsi, sauf à écrire des textes pour se faire comprendre. Sinon ce qui compte, c'est d'écrire, après tu te fais comprendre.

 

Tu es donc animée d'un désir d'un autre ordre que celui de te faire comprendre…

AA : Si tu comprends pourquoi tu écris un texte, tu ne l'écris pas. C'est comme ça pour moi du moins. L'écriture part d'un inconnu, de ce que tu découvres, d'une émotion que tu ne connaissais pas. Tu as parlé de Boltanski, mais j'ai aussi écrit sur des expos de Christian Lacroix, de Vélicovic, sur les Futuréalistes, Bacon et Michaux comme je l'ai dit. J'aime écrire sur ce qui me surprend. Mais aussi sur des villes : Marseille, Lyon, Jérusalem.
Si tu as écrit tout ce que tu as à écrire, tu n'as plus de désir.

 

Nous avons toujours réfuté l'idée qu'on écrit pour s'exprimer.

AA : On revient à la question du sens. L'expression personnelle cherche souvent la compréhension, c'est en cela que ce n'est pas défendable.
Fili publie des textes lisibles même si la compréhension, c'est à dire le sens, l'imaginaire de quelqu'un, comment il se voit, n'y est pas recherché.
C'est plutôt le thème qui a des effets d'écriture, mais on voit qu'il est large, qu'on peut le prendre par plusieurs bouts. On accepte non pas le sens, mais le style et comme c'est un travail collectif, il faut qu'on perçoive le particulier dans la poétique des textes. Cela donne une liberté dans l'écriture que j'apprécie beaucoup.

 

Cet entretien, retranscrit par Monique d'Amore, a été réalisé par Nicole Brachet, Odette et Michel Neumayer.

 

 

 
 

 

Nicole Brachet

(c) N.Brachet
Extrait du N°83

 

Remarques marginales,
retours de lecteurs du séminaire de septembre 2012

Habiter un texte c'est
Y planter son arbre
c'est
user la langue
c'est
y croire
c'est ouvrir la porte opaque des résistances.

Geneviève Bertrand

 

 

Plus ou moins loin de l'arbre,
quelle "bande d'étourneaux…!"
voyage sans bagages ?

Pierre Torres

 

 

 

Un objet de savoir, une pépite…
La notion d'horizontalité de l'écriture, de la parole.
"Il n'y a pas de profondeur à la parole", mais peut-être des glissements de plaques, une tectonique qui fait qu'un texte se charge de sens… ou non.

Michel Neumayer

 

 

 

 

Nicole Brachet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(c) N.Brachet
Extrait du N°83

 

« Si tu as écrit tout ce que tu as à écrire, tu n'as plus de désir » (p. 39)
Cette affirmation m'interpelle. Je la trouve trop générale. Car je ne pense pas me tromper en disant que pour beaucoup de personnes (dont moi !), il y aura toujours quelque chose à écrire tant qu'on est en vie. Donc un désir…

« J'ai trouvé avec vous une conviction, une énergie, la force de laisser au vestiaire de vieilles peurs, rancœurs et autres humeurs, d'aller gambader sur mes propres chemins en m'appuayant sur mon stylo et rien d'autre ».
Je remercie Arlette d'avoir si bien su décrire mon propre ressenti vis-à-vis de Fili.

Jeannine Anziani

 

 

 

Habiter en texte en plantant l'arbre
Il y de résistance dans l'air mais
- les racines poussent dans le silence de la terre ;
- les branches s'élèvent vers la verticalité et la rencontre
On prend des voies à des carrefours qui se présentent :
- sans savoir où nos pas nous mènent ;
- sans écouter en avance les voies intérieures
Au moment où on délaisse les fantasmes qui nous habitent, le texte s'envole.
Il ne nous appartient plus.

Teresa Assude

 

 

 

 

Nicole Brachet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(c) N.Brachet
Extrait du N°83

 

 

L'écriture part d'un inconnu, et l'important est d'accepter de ne pas comprendre, de se laisser entraîner, pour pouvoir pousser la porte, ouvrir quelque chose.
Ce qui est mystérieux, c'est que cela va faire écho chez quelqu'un d'autre, on ne sait pas trop comment.
Qu'est-ce qui se joue dans le dialogue peinture/écriture ? Il faudrait approfondir.

Michèle Monte

 

 

 

….'' Depuis longtemps, je tricote l'écriture et la psychanalyse. Je tiens les deux fils. Entre oubli et retrouvailles, je m'énerve '' dit Arlette Anave

Cette phrase me parle de ce que je fais incessamment, un aller retour entre ce qui surgit sous ma plume et le sens de que je peux y voir... ça m'énerve quand je ne vois pas ce qui se joue, quand je ne trouve pas le mot juste. N'ayant pas de formation psychanalytique, je remplace ce mot par celui de ''psychologie...'' (De Psuchê : l'âme, le souffle, l'esprit et de Logos le discours, la parole).
C'est à dire, en parlant simplement avec mes mots, je me sers de l'intelligence de mon esprit pour me frayer un chemin vers l'intelligence du cœur

Nicole Digier

 

 

 

Quelques objets de savoir pris dans ce Cursives

Écrire – désir – plaisir – revenir – partir – rire - mourir
Désir de revenir écrire
Mourir de rire, de plaisir
Partir écrire
Plaisir de mourir et
De revenir !

Odette Neumayer

 

 

 

 

 

À propos de l'interview d'Arlette…

Arlette répond : « J'ai trouvé avec vous… la force de laisser au vestiaire de vieilles peurs, rancœurs et autres humeurs, d'aller gambader sur mes propres chemins en m'appuyant sur mon stylo et rien d'autre. »
Hier, j'avais commenté : partir à l'aventure, mais voyager sans bagage, est-ce possible ?
J'avais manqué d'attention, car une fois le toxique enterré, les pieds sont plus légers…

Chantal Blanc

 

 

 

 

"L'oubli fait parler. La poésie ne s'apprend pas, elle travaille avec l'oubli, comme la psychanalyse d'ailleurs."
Je trouve rassurant de lire qu'il n'est pas possible de raturer définitivement ce qu'une société (ou moi par exemple !) a choisi de ne pas, ne plus savoir.
Il y aura toujours un retour, toujours quelqu'un pour rapporter ce qui est tenu caché derrière la porte.

Monique d'Amore